La pauvreté s'étale à Montréal. Elle diminue dans les quartiers centraux, traditionnellement défavorisés, où les professionnels cherchent à s'établir. Les familles défavorisées, chassées de chez elles en raison de la hausse des loyers, s'installent en périphérie de l'île. Ce qui ne change pas, c'est le nombre de pauvres. Leurs dettes dépassent désormais la valeur de leurs biens. Des milliers d'enfants auraient besoin d'aide alimentaire à l'école, mais les repas subventionnés restent marginaux.

Jadis concentrée dans certains quartiers, la pauvreté s'étale dans l'île de Montréal, selon la carte de la défavorisation qui a été adoptée jeudi soir par le comité de gestion de la taxe scolaire de l'île. À titre d'exemple, on compte désormais presque autant de personnes vivant sous le seuil de faible revenu dans Ahuntsic-Cartierville (36 000 personnes) que dans Hochelaga-Maisonneuve (42 000), pour une population équivalente.

 

À intervalles réguliers, le comité de gestion de la taxe scolaire dresse une carte de la défavorisation, basée sur les recensements de Statistique Canada, pour savoir quelles écoles doivent profiter des mesures d'aide. Ce faisant, le comité réussit à brosser un portrait de l'évolution de la pauvreté dans l'île de Montréal.

Il y a 25 ans, les démographes parlaient du «T inversé» de la pauvreté: elle touchait les quartiers du sud de l'île puis montait vers le nord, de part et d'autre de la rue Saint-Denis, jusqu'à l'autoroute Métropolitaine (voir la carte de 1981).

En 1991, le T s'était transformé en S. Le haut du S était constitué par Montréal-Nord. Puis, en 1996, la défavorisation s'est étendue vers l'est et vers l'ouest. Depuis, le phénomène s'est accentué: on trouve des poches de pauvreté à Pierrefonds, un quartier pourtant relativement aisé, et plus de zones de pauvreté dans l'extrême est de l'île, dans le quartier de Pointe-aux-Trembles.

 

La nouvelle carte est très précise. Le territoire a été subdivisé en 470 zones qui comptent en moyenne 466 familles avec enfants de moins de 18 ans. Il est possible de consulter la carte de son quartier sur l'internet: ouvrez le site www.cgtsim.qc.ca, puis ouvrez l'onglet «Quoi de neuf» et faites dérouler la carte jusqu'à votre quartier. Vous pourriez y trouver des surprises.De plus en plus, des zones très défavorisées côtoient des zones bien nanties. Dans le quartier Ahuntsic, par exemple, la concentration de pauvreté est très importante au sud du boulevard Henri-Bourassa, à l'ouest de la rue Saint-Hubert. Mais juste au nord, de l'autre côté du boulevard, la zone est très aisée.

Alors que la pauvreté s'étale vers la périphérie, elle tend à diminuer dans le centre géographique de l'île. C'est dans le Plateau-Mont-Royal que le phénomène est le plus visible. Ce quartier, qui a inspiré les romans sociaux de Michel Tremblay, est de plus en plus une mosaïque de taches rouges (défavorisées) et vert pâle (relativement aisées). L'embourgeoisement du quartier pousse les loyers à la hausse, ce qui chasse les familles démunies vers la périphérie.

Le phénomène a un impact négatif, souligne Fanny Poveda, du groupe communautaire le Garde-Manger pour tous, qui sert des repas dans les écoles défavorisées de la Petite-Bourgogne. «Les projets immobiliers qui s'implantent le long du canal de Lachine sont conçus pour les bien nantis et repoussent les populations défavorisées, note-t-elle. Les commerces qui ouvrent aux alentours servent eux aussi une clientèle aisée. Les personnes défavorisées n'ont pas les moyens de faire leurs courses au marché Atwater ou dans les épiceries fines. Il se pose un problème d'approvisionnement alimentaire.»

Mais la mixité sociale a aussi un impact positif, souligne Pierre Gosselin, un des professionnels qui a travaillé sur la carte au comité de gestion de la taxe scolaire. «La mixité crée un milieu social plus sain, a-t-il expliqué lors de la présentation de la carte, jeudi soir. Le pire, pour les enfants pauvres, c'est d'être tous concentrés dans les mêmes écoles. Lorsqu'ils côtoient des enfants de la classe moyenne, ils ont moins de difficultés d'apprentissage.»

Le risque qu'une culture de la pauvreté ne s'installe est moins grand pour les familles qui résident dans une poche de pauvreté que pour celles qui résident dans un quartier défavorisé, constate le document qui accompagne la carte. «La concentration de populations défavorisées au sein d'un territoire génère des effets de masse qui handicapent des personnes déjà fragilisées par leur situation économique. Cette concentration de la défavorisation affecte la composition des milieux scolaires de manière significative.»