Dimanche dernier, un après-midi ensoleillé mais frisquet. Le téléphone de Luis Miranda sonne. Le maire d'Anjou décroche. Au bout du fil, il y a son patron, le maire de Montréal, Gérald Tremblay. Ce dernier lui annonce une bonne nouvelle: il va enfin faire son entrée au comité exécutif de la ville, l'équivalent du conseil des ministres de Montréal. Il obtient la responsabilité du développement économique et de l'économie sociale. Un dossier capital, martèle Gérald Tremblay.

Mais après quelques minutes de conversation, le maire ajoute autre chose. Il informe Luis Miranda qu'il hérite aussi du dossier «services aux citoyens». Services aux citoyens, c'est l'expression pudique qui désigne la propreté, la ligne 311 et surtout, surtout, le dossier maudit du déneigement.

 

En raccrochant, Luis Miranda était donc devenu le nouvel abominable homme des neiges de Montréal. Celui qui devient immanquablement la cible de toutes les invectives des citoyens enterrés sous un banc de neige, brandissant rageusement leur pelle. Parlez-en à Marcel Tremblay, qui, après une déclaration malheureuse, fait désormais partie de la mémoire collective sous le glorieux surnom de M. Crampon.

Trois jours après cet appel fatidique, la recrue Miranda écope de sa première tempête. «Disons que j'ai été plongé dans le bain assez vite», dit-il.

Et le bain n'a pas été tout à fait relaxant. Mercredi avant-midi, la neige commence à tomber. Au total, 23cm de poudre blanche s'abattront sur la métropole. Mercredi, 16h30: 600 cols bleus arrêtent de déneiger pendant deux heures, en pleine heure de pointe, parce que la Ville ne leur a pas payé leurs heures supplémentaires. S'ensuit une nouvelle tempête, médiatique celle-là.

Durant toute la durée de l'exercice, Luis Miranda tient fermement sa position: pelleter le problème dans la cour des arrondissements. «Le déneigement, c'est la responsabilité des arrondissements», a-t-il répété pendant deux jours. «Oui, les journalistes me posent des questions à moi, mais je leur dis: appelez les arrondissements.»

Et pourquoi chaque tempête est-elle un psychodrame à Montréal? «Il y a eu beaucoup d'hivers sans grosses accumulations. Peut-être qu'on a perdu la main», dit-il.

L'enlever ou pas?

Tout de même, il faut dire que l'opération déneigement n'est pas de tout repos à Montréal. Dix-neuf arrondissements se partagent la tâche et doivent coordonner leurs efforts sur des grandes artères qui traversent plusieurs quartiers. Dans les rues, des citoyens délinquants qui laissent leur voiture garée pendant le déneigement ralentissent l'opération. Il faut les remorquer. Toute cette opération coûte 127 millions chaque année.

Pour être bien concret, avec 25cm de neige au sol, les camions dans lesquels on entasse la neige sont pleins au bout d'une centaine de mètres, donc en moins de 15 minutes. Ensuite, ils doivent aller déposer la neige aux lieux de collecte. Disons que le déneigement a lieu sur le Plateau-Mont-Royal: la plupart des camions vont déverser leur neige à la carrière Saint-Michel, dans le nord de la ville. Pas à la porte.

«Les gens sont de plus en plus exigeants», soupire Yves Girard, directeur de l'unité de la propreté et du déneigement à la Ville. Il y a quelques années, M. Girard a fait un voyage au Japon, à Sapporo, une ville du nord du pays, où ont eu lieu les Jeux olympiques au début des années 70. Il tombe généralement plus de neige à Sapporo qu'à Montréal. En 1995, année record, il est tombé plus de 600 cm de neige. Six mètres.

«À Sapporo, on n'enlève la neige que deux fois par hiver», souligne M. Girard. Les rues sont déblayées, mais la neige s'accumule le long des rues en immenses congères. «Notre philosophie, ici, c'est d'enlever la neige le plus vite possible. Mais dans ces villes-là, on vit avec la neige. On vit avec l'hiver».

Sapporo. Un rêve de col bleu.