Le vérificateur général de la Ville de Montréal, Michel Doyon, a décidé d'alerter la Sûreté du Québec quand il a constaté que des documents importants remis par des entrepreneurs à la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) ont été détruits, a-t-on appris hier.

Deux cas en particulier ont retenu son attention: la destruction des soumissions qui n'ont pas été retenues à la suite de l'appel de qualification pour le développement des terrains du Faubourg Contrecoeur, dans l'est de Montréal, et la destruction d'une offre d'achat pour des immeubles situés avenue Lincoln et rue du Sussex, dans le sud-ouest de la Ville.

 

Faubourg Contrecoeur

M. Doyon avait laissé tout le pan de l'enquête sur le Faubourg Contrecoeur à la firme d'audit Samson Bélair/Deloitte&Touche, mais il a pu suivre le déroulement de cette vérification. Dans son rapport, Deloitte met en doute «l'intégrité du processus de sélection» de l'entrepreneur Construction Frank Catania et Associés.

Le rapport révèle que Martial Fillion, alors directeur général de la SHDM, a eu des rencontres avec Catania avant même le lancement de l'appel de qualification. Tout le processus qui a mené au choix de Catania semble suspect aux yeux de Deloitte, et, par ricochet, aux yeux du vérificateur général de la Ville.

La SHDM a embauché le Groupe Gauthier Biancamano Bolduc (GGBB), filiale de la firme d'ingénieurs Dessau, pour trouver un entrepreneur intéressé à mettre en valeur les vastes terrains du Faubourg Contrecoeur, qui appartenaient à la Ville de Montréal. En février 2006, six mois avant le lancement de l'appel de qualification, GGBB écrivait une lettre à Catania lui disant ceci: «Il nous fait plaisir de vous transmettre une copie de tous les rapports d'experts pour le dossier du site Contrecoeur.»

Six mois plus tard, quand l'appel de qualification a été lancé, un autre entrepreneur a demandé à GGBB de le renseigner sur le coût approximatif des travaux de décontamination à réaliser. GGBB a refusé de transmettre l'information.

Cinq entrepreneurs ont fait des propositions. Les vérificateurs de Deloitte ont tenté de les obtenir. Les représentants de GGBB leur ont répondu qu'ils avaient détruit les documents, alors que ces derniers ne leur appartenaient pas: ils appartenaient à la SHDM.

Deloitte a découvert qu'il y avait beaucoup de similitudes entre la proposition de Catania (celle qui a été retenue) et les documents internes de la SHDM, que GGBB avait refusé de transmettre à un autre entrepreneur. Par exemple, à l'interne, la SHDM se disait prête à verser une aide financière de 15 millions de dollars à l'entrepreneur choisi, représentant la part de la Ville de Montréal associée à la construction des infrastructures. Dans sa soumission, Catania réclamait une aide financière de 15,8 millions.

Lincoln et Sussex

Il y a eu aussi destruction d'un document dans la vente d'immeubles situés au 1850, avenue Lincoln, et au 1225, rue du Sussex. Quand la SHDM a mis ces propriétés en vente, six promoteurs ont exprimé leur intérêt. La première offre de la société Lieberman Realties, datant du 1er novembre 2007 et s'élevant à 10,2 millions, ne respectait pas une exigence de l'appel d'offres, car elle n'indiquait pas combien elle offrait pour chacun des deux immeubles. Elle a quand même été considérée.

Lorsque le vérificateur général l'a demandée, on lui a répondu qu'elle avait été détruite. Le 8 novembre 2007, Martial Fillion, alors directeur général de la SHDM, a déposé une deuxième offre de Lieberman, totalisant 10,8 millions, et qui remplaçait celle du 1er novembre. C'est celle-là qui a été retenue. Mais, par la suite, le prix a été renégocié... à 10,2 millions.

C'était plusieurs centaines de milliers de dollars de moins que l'offre soumise par un autre promoteur. Mais «le prix offert, bien qu'il ait été énuméré en premier dans la liste des critères, n'a compté que pour 40% dans l'évaluation des offres», note le vérificateur général.

«Pour ce qu'il serait convenu d'appeler l'aspect qualitatif du dossier, lequel a compté pour 60% dans la prise de décision, la grille de travail du comité de sélection n'était pas très précise, ajoute le rapport. Selon les renseignements obtenus, le poids relatif attaché à l'aspect qualitatif des offrants (60%) et celui attaché au prix offert (40%) furent dictés par le directeur général de la SHDM (Martial Fillion).»

Une offre plus intéressante a-t-elle été écartée de façon injustifiée? Comment se fait-il que la première offre de Lieberman a été considérée alors qu'elle n'était pas conforme? Comment se fait-il que Lieberman a pu déposer une deuxième offre, qui lui a permis d'acheter les immeubles? Le vérificateur Michel Doyon aurait aimé poser ces questions à M. Fillion, ainsi que bien d'autres, mais ce dernier a refusé.

 

QUATRE POINTS SAILLANTS

La filiale de Dessau (le groupe GGBB) qui gérait l'appel de qualification pour choisir un promoteur dans le Faubourg Contrecoeur a détruit les soumissions des cinq entrepreneurs intéressés, alors que ces documents ne lui appartenaient pas.

L'ex-directeur de la SHDM, Martial Fillion, a eu des rencontres avec Catania, qui a remporté l'appel d'offres, avant même le lancement de l'appel de qualification.

La SHDM a accepté de verser une aide financière de 15,8 millions de dollars à Catania alors qu'elle n'en avait pas le droit.

Quand elle a vendu le terrain à Catania, la SHDM a déduit 11 millions de dollars pour la décontamination, sur la base d'estimations préliminaires faites par une autre filiale de Dessau. Vérification faite, ces coûts ont pu être de seulement 5,9 millions.