Dès l'automne dernier, à la suite d'une engueulade musclée avec des cyclistes, l'un des directeurs de la Société du parc Jean-Drapeau a annoncé ses couleurs: il leur a prédit la fin du cyclisme de performance sur le circuit Gilles-Villeneuve, a appris La Presse.

Quelques mois plus tard, la Société décidait d'installer des barrières de ralentissement et des dos d'âne, ce qui a mis en rogne les cyclistes qui empruntent régulièrement le circuit.

L'engueulade a eu lieu alors que le directeur principal, exploitation, Gilles Ballard, circulait en voiture sur le circuit. Signe de la cohabitation difficile entre automobilistes et cyclistes à Montréal, les versions de la Société du parc Jean-Drapeau et des deux cyclistes impliqués, Raphaël Henri-Jolicoeur et Charles-Antoine Julien, diffèrent. Mais tous trois confirment l'altercation, ainsi que l'annonce de l'installation des barrières.

Le directeur général de la Société, Christian Ouellet, n'a pas permis à son directeur exploitation, Gilles Ballard, de raconter sa version à La Presse. C'est la porte-parole de la Société, Nathalie Lessard, qui a été mandatée pour raconter l'altercation à laquelle elle n'a pas assisté.

Par ailleurs, face à la grogne des sportifs, la Société a mis de l'eau dans son vin, hier. Les représentants de groupes cyclistes seront consultés en début de semaine prochaine, a promis, hier, la porte-parole de la Société, Mme Lessard. La Société n'exclut plus de réserver des plages horaires sur le circuit aux cyclistes de performance. «Tout est sur la table à nouveau», a-t-elle dit en précisant que «la problématique de sécurité demeure». Quelque 27 accidents impliquant des vélos y ont eu lieu l'an dernier.

Pourquoi les sportifs n'ont-ils pas été consultés au départ? «Au parc Jean-Drapeau, on a 5 millions de visiteurs par an. Si on se met à consulter tout le monde, on ne serait pas capable d'avancer», a expliqué Mme Lessard.

Sans consulter les cyclistes ni les usagers du bassin olympique (aviron, kayak, bateau-dragon), la Société a récemment décidé de déplacer les cyclistes de performance qui s'entraînent sur le circuit Gilles-Villeneuve vers le bassin olympique. Or, cela ne fait l'affaire ni d'un côté ni de l'autre. À l'entraînement, les cyclosportifs roulent généralement au-dessus de 30 km/h (limite permise par la Ville sur le circuit).

Tensions palpables

L'histoire des cyclistes Raphaël Henri-Jolicoeur, 24 ans, et Charles-Antoine Julien, 34 ans, en dit long sur les tensions qui règnent entre les automobilistes et les sportifs sur le site. Fin septembre, par une journée pluvieuse, tous deux roulaient dans la voie réservée aux cyclistes sur le circuit - une boucle de 5 km. Les triathlètes pédalaient à 25 km/h pour récupérer de leur entraînement, selon leur version. M. Ballard circulait dans la voie des automobilistes. Pour éviter un camion stationné dans sa voie, M. Ballard aurait changé de voie, empruntant celle des cyclistes, sans regarder au préalable si la voie était libre.

Le conducteur aurait frôlé Raphaël Henri-Jolicoeur. Ce dernier a eu le réflexe de signaler sa présence en cognant sur le toit de la voiture avec sa main. «À mon sens, c'est lui qui était dans l'erreur. J'ai eu peur pour ma vie», souligne le jeune homme qui travaille dans une boutique de vélos. Selon son récit, M. Ballard a ensuite ouvert sa fenêtre pour l'injurier. Il lui aurait dit qu'il était directeur du site. «Il nous a dit qu'il en avait assez des cyclistes. Qu'on était dangereux et qu'on n'avait aucune conscience du monde. On sentait qu'il avait une frustration latente envers les cyclistes en général», raconte le triathlète.

Son partenaire d'entraînement, Charles-Antoine Julien, corrobore sa version. «La réaction du directeur était démesurée par rapport à l'événement qu'il avait engendré. Sa voiture n'était pas endommagée; nous n'étions pas blessés. Il était hors de lui», décrit l'athlète qui fait son doctorat en informatique à l'Université McGill. M. Ballard est ensuite allé se stationner près de son bureau, toujours sur le circuit, selon la version des cyclistes. Ces derniers ont décidé d'aller lui parler dans le stationnement. «Il m'a dit qu'il n'y avait rien à discuter. Et qu'il allait se débarrasser de nous autres», ajoute M. Jolicoeur. Le directeur leur a alors parlé de l'installation des barrières de ralentissement.

Le directeur exploitation reconnaît que l'altercation a eu lieu. Il ne nie pas avoir parlé des barrières, selon la porte-parole de la Société, Mme Lessard. Mais ce sont les deux cyclistes qui ont coupé M. Ballard dans la voie réservée aux automobilistes, selon la Société. «M. Ballard a voulu les rattraper pour leur dire que c'était dangereux. Il a emprunté la voie des vélos pour passer devant eux, puis s'est arrêté plus loin pour leur parler. Ça n'a pas été poli d'aucune des parties», explique la porte-parole. L'un des cyclistes a frappé la voiture avec son pied, raconte-t-elle. Les deux athlètes seraient plus tard rentrés à la réception du pavillon du Canada - dans lequel la Société a ses bureaux - pour poursuivre l'altercation.

Les deux triathlètes nient être entrés dans le pavillon. «Au moment de l'altercation, le directeur m'a raconté que c'était son troisième incident impliquant un vélo. Peut-être a-t-il mêlé les histoires. Nous, on n'est jamais allés à son bureau», se défend Raphaël Henri-Jolicoeur. Son ami et lui conservent un souvenir amer de cet incident. «On dirait qu'il n'y a pas de place pour nous. Sur les routes, les voitures trouvent qu'on les ralentit. Et sur les pistes cyclables, on va trop vite», constate Charles-Antoine Julien. «Si le directeur était un cycliste, il n'aurait pas pris cette décision», conclut Raphaël Henri-Jolicoeur.