Après deux ans d'enquête sur la Ville de Blainville, le ministère des Affaires municipales réprimande l'administration du maire François Cantin dans une affaire de contrats attribués à deux entreprises dont le propriétaire, Dominic Cayer, a été le président du parti du maire avant son élection en 2005.

Par ailleurs, le commissaire au lobbyisme du Québec enquête sur M. Cayer, mais la Ville de Blainville essaie, devant les tribunaux, d'empêcher le commissaire d'obtenir des documents concernant ce dossier.

 

L'enquête du Ministère a commencé à la suite de quatre plaintes déposées par un conseiller municipal, Louis Lamarre, et un comptable en management accrédité (CMA) de Blainville, John W. Babiak. Ils ont dénoncé en 2007 de «présumées irrégularités» dans le processus d'appel d'offres utilisé par la Ville pour des contrats d'impression du bulletin municipal accordés à Papier Domco et d'autres contrats attribués à Tapage Communication. M. Cayer est le principal actionnaire de ces entreprises. Il a été le dirigeant du parti du maire, Vrai Blainville, et conseiller municipal avant les dernières élections du 6 novembre 2005.

La Presse a eu accès aux factures envoyées par Tapage à la Ville entre 2000 et 2007: aucun contrat n'a été signé avec Tapage tant que M. Cantin n'a pas été élu. Mais dès son élection, Tapage a eu des contrats: pour 20 491,13$ en décembre 2005, pour un total de 483 280,40$ en 2006, et pour 451 787,04$ en 2007. Dans le cas de Papiers Domco, mis à part deux factures de 68,26$ en 2000 et 28,76$ en 2001, la firme a commencé à obtenir des contrats dès décembre 2005 : 4854,84$ ce mois-là puis 441 409,68$ en 2006 et 419 294,91 en 2007.

Depuis l'élection du maire Cantin, Domco et Tapage ont obtenu du 1er janvier 2006 au 1er janvier 2009 environ 2,6 millions de dollars de la part de Blainville.

Une des plaintes évoquait du «favoritisme en scindant illégalement des contrats», c'est-à-dire que la Ville aurait alloué de petits contrats aux entreprises de M. Cayer afin d'éviter une soumission publique. Le Ministère conclut que le processus d'attribution des contrats n'a pas été respecté. Dans une lettre envoyée aux plaignants, le fonctionnaire Gérald Fleurent écrit: «S'il est démontré que la division des contrats a été faite dans le but d'éviter un appel d'offres public, il y a contravention à la Loi sur les cités et villes et l'élu, ou le fonctionnaire, qui a participé à la décision pourrait être passible de poursuites devant les tribunaux.»

Dans le cas d'autres contrats, le Ministère a informé Blainville que «le règlement autorisant le conseil à déléguer l'autorisation de dépenses à un fonctionnaire ne peut justifier la division de contrats pour respecter la limite prévue à ce règlement».

Blainville a attribué des contrats «de gré à gré» ou «par voie d'invitation écrite» plutôt que par soumission publique. M. Fleurent dit que ce n'est pas parce que la Ville apprécie les entreprises de M. Cayer qu'elle peut «éviter le processus formel prévu dans la loi qui prévoit une permission du ministre dans certaines situations pour procéder sans soumissions».

M. Fleurent s'interroge aussi «sur la légalité du processus» d'attribution de contrats de services juridiques par le directeur général de la Ville, Paul Allard. Celui-ci avait dit au Ministère qu'il prendrait «le blâme» s'il le fallait. Joint sur un terrain de golf, lundi, M. Allard a dit: «Ce qui se passe administrativement, c'est de ma responsabilité.»

Bien que le Ministère conclue que la loi n'a pas été respectée, Québec ne veut pas soumettre ce dossier à la cour. Il recommande simplement à la Ville «une plus grande vigilance». La Presse a voulu demander au ministre Laurent Lessard pourquoi, si la loi a été bafouée, son ministère ne va pas plus loin, d'autant plus que M. Lessard a appuyé, le 14 juillet, le rapport de Florent Gagné sur l'éthique municipale. Il a été impossible de parler au ministre. Son attaché de presse, Sylvain Bourassa, a dit: «Si l'une des parties est insatisfaite, elle peut se tourner vers les tribunaux.»

John W. Babiak estime qu'on rejette le fardeau de la preuve sur le citoyen: «Des millions ont été dépensés d'une façon irresponsable, dit-il. Quel est le message qu'envoie le ministre aux municipalités? Si vous n'observez pas la loi, on va vous envoyer une lettre d'avertissement? Si on ne peut pas se fier au gouvernement pour protéger les intérêts du citoyen, à qui doit-on s'adresser?»

Le dossier Cayer n'est pas clos à Blainville: le commissaire au lobbyisme du Québec procède actuellement à des vérifications sur l'entrepreneur. Mais la Ville de Blainville soutient indirectement M. Cayer dans ce dossier: elle a entrepris des démarches juridiques pour empêcher le commissaire d'obtenir des renseignements sur les contrats obtenus par M. Cayer depuis 2005. «La Ville conteste notre pouvoir», regrette Pierre Morin, porte-parole du commissaire au lobbyisme du Québec.

Le maire Cantin, de son côté, est très heureux du dénouement. Il renouvelle sa confiance envers son directeur général. «On va suivre les suggestions du Ministère, dit-il. M. Allard est un excellent directeur général.»

Selon Dominic Cayer, cette histoire ne le concerne pas. «Je n'ai pas à être gêné d'avoir des mandats, dit-il. Je suis un entrepreneur. Je ne pouvais pas soumissionner auparavant car j'étais élu et, avant, sous le maire Pierre Gingras, je ne le pouvais pas car il ne m'aimait pas, ni les gens de ma famille.»

M. Cayer reconnaît les liens politiques qu'il a entretenus avec le maire Cantin et les liens privés qui existent entre le directeur Paul Allard lui: M. Allard lui a enseigné le baseball quand il était jeune. «Vous savez, Blainville, c'est un village, on se connaît tous», ajoute-t-il.

eric.clement@lapresse.ca