La Ville de Montréal enquête présentement sur un voyage qu'un de ses hauts fonctionnaires a effectué en Italie à l'invitation d'un entrepreneur montréalais qui a obtenu des contrats totalisant des millions de dollars avec la métropole.

Selon des informations recueillies par La Presse et Radio-Canada, Robert Marcil, le directeur de la Réalisation des travaux à la Ville de Montréal, a pris part à un voyage en Italie en octobre 2008 à l'invitation de Joe Borsellino, président de Construction Garnier, une entreprise pour laquelle il a approuvé plusieurs contrats ces dernières années. Joe Borsellino avait également invité Yves Lortie, vice-président de la firme Genivar, et Jocelyn Dupuis, l'ex-directeur général de la FTQ-Construction. Les quatre conjointes de ces personnes étaient présentes. Le voyage s'est déroulé durant une dizaine de jours à Rome, Sienne et Florence.

Robert Marcil était à l'emploi de la Ville depuis le 4 février 1991. Ingénieur de formation, il a quitté ses fonctions le 31 juillet dernier, un mois après avoir présenté sa démission. Dans sa lettre de démission adressée le 26 juin à Gilles Robillard, directeur général-adjoint du Service des infrastructures, transport et environnement, M. Marcil indique qu'il démissionne «afin de me permettre d'effectuer une réorientation de carrière». C'est la version que nous a donnée dans un premier temps l'administration Tremblay et M. Marcil, lui-même, lors d'un entretien téléphonique avec La Presse la semaine dernière. Pourtant, les sources de La Presse et Radio-Canada indiquaient que la démission découlait d'une enquête interne déclenchée à cause d'un «manquement grave aux règles d'éthique».

Finalement, Jean-Yves Hinse, directeur des relations professionnelles au Service du capital humain, a confirmé ce mardi nos informations. Il a expliqué que c'est le maire de Montréal, Gérald Tremblay, qui a reçu un courriel à la fin du mois d'avril faisant état des allégations au sujet de M. Marcil. «Le maire nous l'a transmis, dit M. Hinse. On a vérifié la crédibilité de la source. À l'origine, on ne nous disait pas qu'il y avait un voyage. C'est par le processus d'enquête interne qu'on a pris connaissance de ce voyage à l'extérieur. Avec leurs épouses. Comme on le fait dans ce genre de cas, on a rencontre l'employé autour du 22-23 juin. Il a décidé de démissionner. Le processus d'enquête interne se poursuit.»

M. Marcil a-t-il admis les faits? «Des questions lui ont été posées et il a répondu, dit M. Hinse. Il nous a dit qu'il était allé en voyage. Il a vraiment fait ce voyage. C'était durant ses vacances personnelles de deux semaines. On ne sait pas s'il a payé ou non ce voyage. S'il a reçu un voyage payé, cela fera partie de l'enquête.»

Les enquêteurs ont signifié à M. Marcil qu'il avait commis un manquement grave à l'éthique. «C'est clair, dit M. Hinse. D'autant que c'est arrivé simultanément avec tout le débat sur le code d'éthique. Il y a, à tout le moins, une apparence de conflit d'intérêt. Il aurait dû souligner (ce voyage) à son supérieur immédiat.»

La porte-parole de Génivar, Marlene Casciaro, a confirmé à La Presse qu'Yves Lortie, vice-président aux infrastructures municipales, a participé au voyage. «J'ai parlé à M. Lortie, a dit Mme Casciaro. Il a effectivement effectué un voyage. Il a été invité personnellement.» Par M. Joe Borselino? «C'est ça», a répondu Mme Casciaro, qui a ajouté que ce n'était pas «une situation appropriée si vous regardez notre code d'éthique». «Probablement que M. Lortie ne l'a pas réalisé mais c'est un geste maladroit», dit-elle. Mme Casciaro estime qu'il y aura des suites à l'interne pour le geste posé par M. Lortie.

Est-ce que le fait qu'un fonctionnaire de la Ville ait participé à ce voyage aggrave la situation? «C'est quelque chose qui n'est pas en ligne avec notre code d'éthique, dit-elle. Ça pourrait, effectivement. Ce n'est pas une situation qu'on approuve. On a un code d'éthique depuis plusieurs années. On est une entreprise responsable. On a 3800 employés. On ne peut pas être en arrière de chacun. Mais on agit de façon responsable et on est en train de regarder ça.»

D'importants contrats avec la Ville

La Presse et Radio-Canada ont constaté que ces dernières années, on retrouve très souvent le nom de Robert Marcil dans les sommaires décisionnels de la Ville comme «responsable du dossier» ou responsable de la validation de contrats octroyés à Construction Garnier. Ainsi, le 13 août 2008, Robert Marcil a recommandé «d'accorder à Construction Garnier, plus bas soumissionnaire conforme», un contrat de 4,4 millions pour la construction d'un égout sanitaire dans l'arrondissement de Rivière-des-Prairies/Pointe-aux-Trembles.

Le 16 janvier 2008, Garnier a obtenu le contrat de la reconstruction d'un  égout et d'une conduite d'eau rue Notre-Dame, de la rue de la Montagne à la rue University dans Ville-Marie, pour un montant de 5,6 millions. Selon le sommaire décisionnel, M. Marcil était alors responsable de ce dossier en temps que «chef de division de la construction et de la mise en oeuvre des projets».

Même chose, le 10 octobre 2007 : Garnier remporte un contrat pour les travaux de réfection du passage supérieur Notre-Dame/Angrignon dans Sud-Ouest. Un contrat de 1,5 million pour lequel M. Marcil était responsable du dossier. Même chose le 17 septembre 2007 avec l'octroi à Garnier d'un contrat de 1,57 million pour reconstruire une conduite d'eau secondaire sur l'avenue de Lorimier dans Ville-Marie. Même chose le 6 juin 2007 pour les travaux de construction du nouveau carrefour Du Parc/Des Pins (5,7 millions) et pour le 30 octobre 2006 pour la reconstruction, pour 4 millions, d'une conduite d'eau secondaire boulevard Saint-Laurent, dans le Plateau-Mont-Royal.

En mai 2008, M. Marcil a également donné un avis favorable pour l'octroi d'un contrat de 2,7 millions au consortium SM/Génivar pour les plans et devis et la surveillance du chantier des phases 2, 3 et 4 du secteur du Quartier des spectacles de Montréal.

L'enquête de la Ville va porter sur la relation qui existait réellement entre M. Marcil d'une part et MM. Borsellino, Lortie et Dupuis d'autre part. La Ville va vérifier si ces relations ont eu des conséquences dans l'octroi de contrats. «Ce sont deux entrepreneurs qui travaillent pour la Ville, dit M. Hinse. Vous ne devez pas vous mettre dans une telle situation.  Dans l'enquête interne, on va ratisser large et remonter aussi loin que l'on peut et regarder comment les appels d'offre ont été conduits.»

Yves Lortie, Joe Borselino et Robert Marcil n'ont pas rappelé La Presse ce mardi. M. Dupuis n'a pu être joint. La Sûreté du Québec ne semble pas avoir ouvert d'enquête sur ce dossier, les noms des personnes impliquées n'étant pas reliés à une enquête particulière, a dit Martine Isabelle, porte-parole de la SQ.

eric.clement@lapresse.ca

 

Photo: Radio-Canada

Robert Marcil