Le propriétaire d'une entreprise de construction a déclaré à l'émission Enquête, de Radio-Canada, que les contrats de travaux publics les plus importants accordés par la Ville de Montréal sont accaparés par un petit club d'entrepreneurs. Ceux qui ne font pas partie du club et qui osent répondre aux appels d'offres se font menacer, soutient-il.

Le visage dissimulé derrière un panneau de verre givré, le propriétaire de cette entreprise, qui emploie une centaine d'ouvriers, a déclaré à la caméra que ce système mafieux entraîne une surfacturation d'environ 30%.

La Presse a indiqué, la semaine dernière, que la nouvelle escouade anticorruption de la Sûreté du Québec s'intéresse précisément à l'existence probable d'un club d'entrepreneurs qui se partagent les gros contrats à tour de rôle, tant à Montréal qu'à l'extérieur de la région métropolitaine.

Les contrats sont accordés aux entrepreneurs qui remettent les soumissions les plus basses. Mais ces soumissions seraient plus élevées que les prix réels. Les policiers se demandent si les entreprises qui ne font pas partie du club reçoivent des menaces pour les dissuader de répondre aux appels d'offres.

Cela semble bien être le cas, selon le témoignage livré de façon confidentielle par le propriétaire de l'entreprise, dans un reportage qui a été diffusé hier soir à Radio-Canada. «Montréal, c'est pas pour nous autres», a-t-il dit. «C'est un club fermé?» a demandé le journaliste Alain Gravel, animateur de l'émission Enquête. «Réellement fermé, a répondu l'entrepreneur. C'est pire que la mafia. Ils n'entendent plus à rire.»

«Si on enlevait ce verre devant vous il se passerait quoi?» demande le journaliste. «Dans 24 heures, je n'ai plus de machines, répond l'entrepreneur. C'est vrai comme je suis là. Demain matin, s'ils apprennent que c'est effectivement moi, il n'y a plus de menaces: on n'est plus là.»

L'homme affirme qu'il a été victime d'intimidation à de nombreuses reprises lors du dépôt des soumissions à la Ville de Montréal. «T'as juste une façon de fonctionner, a-t-il affirmé. C'est la leur. Ça donne rien de persister à travailler à Montréal.»

Il affirme qu'il est temps de crever l'abcès pour mettre fin à la collusion établie par ceux qui, selon lui, contrôlent les grands chantiers à Montréal. «Il n'y a pas un entrepreneur qui va dire demain matin, moi je prends le guess d'aller travailler à Montréal, a-t-il dit. Il va se ramasser à l'hôpital ou il n'aura plus de machines pour travailler. C'est rendu qu'ils ont des connexions partout. On n'a même pas le temps de dire qu'on va soumissionner.»

Ce club est «extrêmement dangereux», affirme-t-il. Mais le fait que les médias et la police aient commencé à exposer publiquement l'existence d'un tel système lui fait croire que les choses pourraient changer. Cependant, cela ne se fera pas sans flammèches, prévient-il. «C'est réellement la mafia qui est rentrée là, pis on a des grosses têtes qui vont tomber à la Ville de Montréal. Pis il y a de gros entrepreneurs qui vont tomber aussi.»

Selon lui, la collusion dans les appels d'offres coûte cher aux contribuables, soit 30% de plus que si la concurrence jouait pleinement son rôle. L'avenir dira si les enquêtes de la SQ aboutiront à des accusations.