Une quinzaine d'entreprises se partagent la moitié des contrats de travaux publics accordés par la Ville de Montréal, selon une analyse des données officielles compilées entre janvier 2005 et juin 2009. Au haut du pavé se trouvent les sociétés dirigées par l'homme d'affaires Tony Accurso, qui se trouve au centre de plusieurs controverses depuis le début de l'année.

Ces 16 firmes représentent une toute petite fraction (6%) des 272 entreprises qui ont obtenu des contrats pendant ces quatre années et demie. Mais elles ont raflé 406 contrats sur 886, soit 46% du total. Cela représente le tiers de la valeur des contrats, soit 471 millions de dollars sur 1,4 milliard.

Rien ne permet de croire que ces contrats ont été attribués de façon irrégulière. L'immense majorité a été aux plus bas soumissionnaires, à la suite d'appels d'offres en bonne et due forme. Quand ce n'était pas le cas, il y avait de bonnes raisons : par exemple, il pouvait y avoir une situation d'urgence. Cela dit, le fait que si peu d'entreprises concentrent autant de contrats suscite l'étonnement.

À elles seules, les entreprises dirigées par Tony Accurso, comme Simard-Beaudry et Construction Louisbourg, ont obtenu pour près de 130 millions de dollars de contrats pendant cette période. Cela inclut toutefois la firme Gastier, qui a été acquise par ce groupe seulement en novembre dernier. Mais cela exclut les contrats attribués dans les arrondissements. Par exemple, Construction Louisbourg occupe une place privilégiée dans l'arrondissement d'Anjou : elle y réalise la majorité des grands travaux.

Cela exclut aussi l'important contrat des compteurs d'eau, d'une valeur de 356 millions de dollars, attribué au consortium GÉNIeau, formé de Simard-Beaudry et de la firme d'ingénieurs Dessau, et qui a été annulé à la suite d'une enquête dévastatrice du vérificateur général de Montréal. La Presse a tenté à plusieurs reprises d'interviewer M. Accurso, y compris ce lundi, mais toujours en vain.

Au début des années 2000, Simard-Beaudry et Construction Louisbourg obtenaient deux ou trois contrats par an, d'une valeur totale de 3 à 4 millions de dollars par année. En 2005, le nombre de contrats est passé à 11 et se maintient depuis à une vingtaine de millions de dollars par année en moyenne.

Les activités des entreprises de Tony Accurso dépassent, et de loin, les frontières de l'île de Montréal. Elles se manifestent aussi à Laval et, en fait, dans toute la grande région de Montréal. M. Accurso est un homme d'affaires aguerri et très influent. Son importance dans la construction est reconnue depuis au moins 15 ans, et même par des hommes d'affaires américains.

Dans une déclaration sous serment datant de 1994 et déposée à la Cour de justice de l'Ontario, Michael Ropper, alors vice-président de la United States Pipes, a noté «qu'aucune entreprise ne pourrait évoluer avec succès dans l'industrie de la construction en Ontario et au Québec sans la pleine coopération de certains leaders de l'industrie, dont Tony Accurso».

M. Accurso a un réseau de contacts très élargi, dans les milieux syndicaux et politiques. Il a eu des relations d'affaires avec Claude Blanchet, mari de la chef péquiste Pauline Marois, quand ce dernier était directeur général du Fonds de solidarité FTQ. Lundi, le premier ministre Jean Charest a indiqué qu'il l'a lui aussi déjà rencontré.

Sur la scène municipale, il est de notoriété publique que M. Accurso a ses entrées dans le bureau du maire de Laval, Gilles Vaillancourt. L'ancien président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Frank Zampino, a reconnu qu'ils étaient amis depuis longtemps : il est d'ailleurs allé en croisière sur son luxueux yacht à au moins deux reprises. On vient d'apprendre que M. Accurso cultivait aussi des relations avec Benoit Labonté, qui a dû quitter ses fonctions de chef de l'opposition à l'hôtel de ville de Montréal, dimanche.

La famille Catania a elle aussi obtenu plusieurs contrats à la Ville de Montréal. Construction Frank Catania et associés a obtenu pour 72 millions de dollars de contrats de janvier 2005 à juin 2009. Les entreprises Catcan, qui constituent une entreprise juridiquement indépendante, en ont eu pour 60 millions.

Des hommes d'affaires comme Nicolo Milioto, président de Construction Mivela, sont moins connus du grand public que Tony Accurso et Frank Catania, mais n'en jouent pas moins un rôle très important dans les travaux publics à Montréal.

Certaines sociétés, comme Construction D.J.L., Sintra ou Gaz Métropolitain, appartiennent à de grands groupes internationaux ou à des sociétés en commandite, à l'actionnariat diffus. Mais la plupart des 16 entreprises répertoriées dans notre tableau sont dirigées par des entrepreneurs de Montréal ou de la région.