Pour sa dernière activité de la campagne électorale, Louise Harel a revêtu un élégant manteau crème à col de fourrure. Elle est assise dans le siège du passager à bord de son auto de campagne, une petite Yaris bleue. Le soleil éclabousse le document sur lequel elle travaille, un discours de deux pages et demie intitulé Victoire.

Comme à l'habitude, celle que René Lévesque avait surnommé l'impératrice de l'Est travaille minutieusement. Les trois feuilles sont couvertes de notes à l'encre bleue. Elle a rayé des mots, ajouté des phrases. Comme celle-ci, écrite au tout début du discours. «Je suis particulièrement émue de m'adresser à vous ce soir en tant que première femme élue à la mairie de Montréal.»

Cette phrase, Louise Harel ne la prononcera pas. Car dans quelques heures, elle perdra cette bataille qui aurait pu la mener à l'hôtel de ville.

Elle a su qu'elle perdait bien avant que la télé n'annonce l'avance de Gérald Tremblay. Elle l'a pressenti dès le retour de cette dernière activité, tenue avec la communauté égyptienne dans une église de Pierrefonds.

Alors que Louise Harel travaille toujours sur son discours, Marie-Hélène D'Entremont, assise à l'arrière, reçoit un téléphone de la permanence. Il est 15 heures. «Le taux de vote à 13 heures est à 17%», dit la jeune femme filiforme qui lui sert d'attachée de presse. «C'est pas beaucoup», dit sobrement Louise Harel. Pendant toute la campagne, elle n'a cessé de répéter que la clé de son élection résidait dans le taux de vote. «Si les Montréalais vont voter à plus de 42%, je peux être élue.»

Mais les Montréalais n'ont pas répondu massivement à l'appel des urnes. Huit heures plus tard, Louise Harel se retrouve donc dans la Yaris bleue, siège passager. Michel Desautels vient d'annoncer, à la radio, la victoire de Gérald Tremblay. Il fait nuit. C'est la lampe intérieure de la voiture qui éclaire maintenant le discours de deux pages qu'elle révise encore.

Cette fois, le document est intitulé Défaite.

Dans une loge exigüe et blafarde du théâtre Telus, où ses proches se marchent sur les pieds, Louise Harel concède officiellement la victoire en téléphonant au maire fraîchement réélu. «Bonjour Gérald. Alea jacta est.» Elle a un petit rire silencieux. «Je vais siéger aussi. Alors, on va travailler ensemble.»

À l'autre bout de la loge, ses deux amies, Francine Lahaye et Sylvie Bourassa, qui ont tenu la campagne de Louise Harel à bout de bras, sont stupéfaites. «J'étais sûre qu'elle allait quitter», lance Sylvie Bourassa. Les deux femmes n'avaient jamais posé directement la question à Louise Harel. La journaliste, oui. Quatre jours auparavant, dans un restaurant de la place Jacques-Cartier.

Madame la chef mangeait des rôties au beurre d'arachide dans le restaurant désert. Qu'allez-vous faire, si vous perdez? Elle a d'abord répondu en biaisant. Si Benoît Labonté n'avait pas dû quitter, la réponse à cette question aurait été différente, dit-elle. «J'aurais pris la responsabilité de la défaite. J'en aurais conclu qu'une souverainiste qui a fait les fusions, un cas d'espèce, je l'admets, ne pouvait pas devenir maire.» Elle fait une pause. «Mais dans le contexte actuel, j'ai une responsabilité. Je vais assurer la transition.»

Louise Harel a donc décidé de rester à la tête de Vision Montréal pour quelque temps. Le temps d'épauler les jeunes candidats qu'elle a elle-même recrutés. Et aussi, de payer les dettes de son parti. Elle restera, mais pas quatre ans. « Je ne referai pas ça», dit-elle avec un petit sourire, en faisant allusion à la dure campagne qu'elle a mené depuis des semaines. Et s'il est élu, Gérald Tremblay ne fera pas long feu lui non plus, prévoit-elle. Tout au plus, un an. «En étant réélu, sa réputation va être rétablie.»

Mais pour l'heure, elle est encore persuadée de pouvoir gagner. La veille de l'Halloween, elle prévoit le score final à quelques points de pourcentage près. «Je vais être élue, avec plus ou moins 40% des votes. Richard Bergeron va avoir 28%. Le maire, un peu plus.» Le score n'est pas si mal, sauf pour le rang des candidats. Le soir du premier novembre, c'est Gérald Tremblay qui occupe la place qu'elle s'était accordée.

Le parti de la ligne orange

Chez les candidats et le personnel politique qui digèrent la défaite au théâtre Telus, le diagnostic est unanime. Le responsable de leur défaite, c'est le «parti de la ligne orange», comme l'a surnommé Louise Harel, puisque son épine dorsale court du Plateau-Mont-Royal à Ahuntsic, le long de la ligne de métro.

Mais au fil d'une campagne mouvementée, l'appui à Projet Montréal s'est enflé comme une vague sur cet axe crucial. Dans le dernier sondage publié dans La Presse, Richard Bergeron est au coude-à -coude avec ses adversaires. Ce matin-là, en entrant dans l'auto, Louise Harel a du mal à cacher son inquiétude. «C'est le phénomène ADQ», dit-elle.

L'Action démocratique de 2007 et Projet Montréal de 2009 n'ont absolument rien en commun sur le plan du contenu. Ils sont cependant alimentés par une même soif de «pureté politique», croit Louise Harel. Mario Dumont et Richard Bergeron sont deux chefs sans équipe, qui se présentent comme des outsiders, étrangers aux tactiques des vieux partis. Et leur clientèle, croit Louise Harel, repose essentiellement sur un groupe de la société qu'elle appelle les angry young men.

«À Québec, ils sont entre les mains de Jeff Fillion. À Montréal, ils sont entre les mains de Patrick Lagacé. C'est mieux, dit-elle. Pour eux, je suis au mieux, une grand-mère, au pire, une matante», dit-elle. Les jeunes candidats qu'elle a convaincu de quitter Projet Montréal pour Vision Montréal sont méprisés de la même façon que les jeunes péquistes l'étaient dans les années 70 par des militants d'extrême-gauche. «On était d'affreux petits-bourgeois.»

La veille du vote, elle dîne avec certains de ces jeunes issus de la pépinière Projet Montréal dans un restaurant du marché Jean-Talon. Jean-Nicolas Paul a joué l'organisateur pour Atim Leon, un candidat de Vision Montréal dans Rosemont. Il ressort épuisé et déçu de sa première expérience politique. On n'a pas assez fait connaître notre programme. C'est ça qui nous a tués. Il y a eu un espèce de contrôle malsain sur le programme.» Lorsque Louise Harel quitte le resto, il lui serre la main en baissant les yeux, incapable de cacher son dépit.

Ces jeunes auraient aimé que Richard Bergeron cède sa place à Louise Harel. Mais le chef de Projet Montréal a rejeté d'emblée ce scénario. «C'est un homme de pouvoir. Il a pris goût au pouvoir, persifle Louise Harel. En 2005, il m'a proposé trois fois d'être chef de son parti. C'était très pressant.» Lorsqu'elle en a rediscuté avec des émissaires, au printemps dernier, la proposition qu'on lui a soumise était inacceptable, affirme-t-elle. Un titre de chef, mais aucun pouvoir sur le programme ou les candidats. «Je ne suis pas une reine-consort. Je ne suis pas un prête-nom», dit-elle durant la campagne.

Louise Harel entretient une relation d'amour-haine avec Richard Bergeron. Elle aime ses idées. On l'écoute et on se dit: ça serait-tu magnifique si ça pouvait se passer comme ça.» Mais elle déteste l'instransigeance et les constructions intellectuelles de Bergeron. «Lui, il est dans le pourquoi. Moi, je suis dans l'opérationnel. La question que je me pose, devant un problème, c'est: qu'est-ce qu'on fait?»

Lorsqu'un journaliste de Métro lui demande de trouver une qualité à ses adversaire, elle répond sans mal pour Gérald Tremblay. «Humaniste.» Richard Bergeron? Après une longue hésitation, le seul mot positif qui lui vient sonne comme une insulte dans sa bouche. «Théorique».

Le Judas de Louise Harel

Mais jamais l'appui à Richard Bergeron n'aurait pu atteindre de tels sommets sans l'affaire Benoît Labonté. La trahison de son bras droit a creusé une plaie vive dans la campagne Harel, dont personne ne s'est vraiment remis. À quelques jours du vote, Louise Harel a rassemblé les candidats de Saint-Michel et de Montréal-Nord pour une annonce sur les sports. Soraya Martinez, candidate dans François-Perreault, est là. Elle a quitté le parti de Gérald Tremblay pour Vision Montréal aux côtés de Benoît Labonté.

Quand on lui parle de Labonté, Soraya Martinez fond en larmes. «Il m'a trahie», dit-elle. Dès la fin septembre il lui a assuré, les yeux dans les yeux, que l'article initial publié par Rue Frontenac était faux. «Moi, je ne suis pas entrée en politique pour ça. Je fais ma campagne avec des 100$, avec ma famille, des amis, comme bénévoles.»

Dès son arrivée, en juin, Louise Harel a été surprise des commentaires récoltés au premier caucus qui rassemblait élus et candidats. Plusieurs personnes influentes ont lancé le même message à la nouvelle chef. «Ne rappelez pas ceux qui sont partis», ont-ils dit, en parlant des directeurs généraux qui s'étaient succédés à la tête du parti dirigé par Labonté.

Louise Harel a alors posé des questions pour la première fois à Benoît Labonté. «La thèse sédimentée, c'était celle du cocktail où il rencontre Accurso pendant quelques secondes, au milieu d'une foule de 700 personnes.» Mme Harel dit avoir cru à cette version. Jusqu'au fameux samedi où Paul Larocque, de TVA, brandit les relevés téléphoniques de Labonté. Son bras droit lui dit alors que ses relevés ont été trafiqués. «Ça commence à être une grosse machination.» Francine Lahaye, une pro des relations publiques qui connaît Louise Harel de puis 30 ans, n'y croit plus. Très tôt, le dimanche matin, la chef appelle Labonté. Elle lui demande d'aller s'expliquer en ondes. Il lui offre sa démission. En quelques mots, l'affaire est entendue. Elle comprend que Labonté lui a menti depuis le début.

Qu'avez-vous ressenti? Elle réfléchit longuement, en regardant droit devant elle. Sa mâchoire se serre. «Je n'ai pas ressenti de panique. Mais c'est fulgurant. En un éclair, on voit tout ce que ça signifie.» Hasard de l'horaire, Louise Harel a un petit déjeuner avec ses candidats au programme, à 8h30 ce matin-là. Ce café-croissants devait être un pep talk. Ce sera plutôt une veillée funèbre.

Avant de rencontrer ses candidats, elle doit voir Pierre Lampron, dans Rosemont. «En arrivant au local, j'ai vu sa chauffeure, qui me faisait de grands signes. Mme Harel veut vous parler!», raconte-t-il. Sur le trottoir, devant son local électoral, Lampron apprend qu'il sera le nouveau numéro deux de l'équipe Harel. En marchant du trottoir au local, il a quinze secondes pour se décider. «En entrant, elle m'a dit: est-ce que ça vous va? J'ai dit oui. Et j'ai ressenti tout le poids de la Terre.»

Tout le monde pensait que l'affaire s'arrêterait là. Que non. Quelques jours plus tard, Benoît Labonté choisit de vider son sac sur les ondes de Radio-Canada. Louise Harel a été renversée. «J'imagine que c'était mieux pour lui que de faire une dépression», dit-elle.

Les révélations de Benoît Labonté ont plombé la campagne Harel pendant des jours. Le dimanche suivant, des journalistes posent encore des questions sur le «financement sectoriel» dont Benoît Labonté a dit qu'il avait toujours cours à Vision Montréal sous la gouverne de la directrice du financement, Sylvie Bourassa.

Éric Clément, de La Presse, questionne Louise Harel par courriel sur ce qui est devenu l'affaire Bourassa. En se maquillant, Louise Harel dicte sa réponse à l'attachée de presse. « Mme Harel s'est enquis auprès de Mme Bourassa de la conformité de toutes les contributions aux règles électorales, ce que cette dernière a confirmé, dit-elle. Ah oui! Et vous ajouterez: elle vous souhaite un bon dimanche!»

Et elle-même conclut, en levant les yeux au ciel: «et passez à un autre sujet, s'il-vous-plaît!»

Les grandes entreprises ont-elles financé Vision Montréal en sous main? Louise Harel éclate de rire. «Il faut connaître Sylvie pour savoir que c'est de l'ordre de l'impossible. Si vous saviez tout ce qu'on a dû annuler faute d'argent!» Au terme de la campagne, Vision Montréal aura dépensé 1,1 million, à peu près la moitié de la limite permise par le Directeur général des élections.

Deux jours plus tard, à la permanence, je rencontre la femme dont tout le monde parle. Blonde, élégante, Sylvie Bourassa a travaillé au cabinet de Louise Harel il y a dix ans. Elle est restée une proche. Elle a pris un congé de son emploi au ministère de l'Emploi pour donner un coup de main à la campagne.

Le financement sectoriel? «C'est fâchant, parce que c'est totalement faux. Voyez nos somptueux locaux», dit-elle en désignant la grande pièce qui sert de permanence au parti. L'immeuble est vétuste. Les planchers sont râpés et il y a des trappes à souris dans les armoires. «On n'en a pas fait, de financement sectoriel. Et on paye pour!»

À bord de la Yaris bleue

La campagne électorale de Louise Harel a commencé à la mi-juin, date de sa nomination officielle comme chef du parti. A son arrivée, outre le personnel en poste à l'hôtel de ville au cabinet de l'Opposition officielle, Vision Montréal était une coquille vide. «Il n'y avait rien, résume-t-elle. Ça m'a pris un mois avant d'avoir une carte d'affaires.» Au début, elle se promenait avec son attachée de presse dans sa propre voiture, en état de bordel permanent. «Elle me disait: le parti, c'est vous et moi», rigole Marie-Hélène d'Entremont. Il a bien fallu trouver une voiture, un chauffeur. C'est alors qu'Eileen Royal est arrivée avec sa Yaris bleue.

Eileen a conduit madame la chef partout sur l'île de Montréal pendant quatre mois. Née d'une mère irlandaise et d'un père canadien-français, la forte femme de 55 ans, sanguine et émotive, a été bien plus qu'un chauffeur pour la candidate. Elle l'a nourrie, bichonnée. Elle a transporté ses dossiers, lui a trouvé son Blackberry, toujours perdu dans son immense sac à main. Il a suffi que Louise Harel se plaigne un matin de la lenteur de l'ascenseur de son immeuble pour qu'Eileen veille, à chaque matin, à envoyer l'ascenseur au quatrième afin que la chef n'ait pas à patienter une minute devant des portes closes.

Un matin, au détour d'une phrase sybilline, Louise Harel laisse entendre qu'elle n'a pas déjeuné. En arrivant devant la station de radio où doit se dérouler la première entrevue de la journée, Eileen sort sa petite glacière bleue, bourrée de nourriture. Sandwiches aux oeufs. Quartiers d'orange. Elle court chercher un capuccino dans un café voisin. Louise Harel revêt une grande bavette à carreaux bleus, pour éviter de se tacher, et déjeune dans la voiture.

Pendant quatre mois, la petite voiture a été le bureau de Louise Harel. Enviait-elle le confort des grands autobus que les chefs occupent pendant la campagne provinciale? Pas du tout. «Ici, j'ai l'impression d'avoir le contrôle». Le contrôle. Un trait dominant de la personnalité de madame la chef. Louise Harel relit chaque communiqué avec un soin maniaque, repasse sur les décisions de tout le monde, traîne toujours des montagnes de papier, gère le moindre détail de sa campagne comme si c'était capital.

Le jour où un obscur hebdo portugais pose une question par écrit à son personnel, elle est insatisfaite de la réponse ébauchée. Elle enregistre une nouvelle version, que son attachée de presse devra retranscrire et envoyer au journaliste. En visitant une enclave de HLM dont on lui a parlé, elle demande à Marie-Hélène d'Entremont de lui trouver qui a bâti le complexe. Sur-le-champ. L'attachée de presse pitonne furieusement sur son Blackberry.

Louise Harel n'élève jamais la voix. Jamais un gros mot ne franchit sa bouche. Quand elle est fâchée, elle est tout en colère contenue. Mais elle maîtrise à la perfection l'art de la petite phrase assassine, et c'est ainsi que son personnel passe dans le tordeur. Quelqu'un a oublié de répondre à la question d'un mensuel arabe et le journaliste est furieux? «Une erreur impardonnable», tranche-t-elle au téléphone à un adjoint contrit. «J'insiste, Catherine. C'est le temps de faire votre méchante», dit-elle à une adjointe lorsqu'elle apprend que le candidat de Vision Montréal n'a pas été invité à un dîner de la communauté grecque.

«Combien de fois il va falloir que je le dise : on ne reprend jamais les arguments de l'adversaire dans un communiqué. C'est des cours de communiqué qu'il va falloir leur donner», tempête-t-elle au sujet d'un envoi un peu trop long.

Les journalistes passent aussi, privément, à la moulinette. Elle s'indigne pendant des jours d'une question de Josée Boileau, rédactrice en chef du Devoir, qui lui a demandé en entrevue éditoriale, si Tony Accurso avait déjà communiqué avec elle. «Franchement. Quelle question!» Au sortir d'une entrevue agressive sur les ondes de CIBL, elle est furieuse. Le journaliste a commencé son entrevue en citant une chronique de Gil Courtemanche, qui écrivait dans Le Devoir que seul Projet Montréal était un vrai parti d'idées. Dans l'auto, elle a un petit reniflement de mépris. «Ils pensent que c'est ça, être un bon journaliste. Poser des questions avec les articles des autres. Un article de Gil qui, déjà?»

La campagne des câlins

Louise Harel, piètre oratrice, mauvaise en débat, est la reine du contact individuel. «En one-to-one, elle séduit n'importe qui», résume Frédéric Tremblay, candidat dans Côte-des-neiges. Louise Harel est une «toucheuse». Avec les gens, elle embrasse, câline, enlace, caresse les avant-bras, les épaules, les cous, les têtes. Les gens finissent souvent par lui raconter leurs problèmes, qu'elle écoute avec une totale attention. Elle trouve quelque chose à dire à tout le monde. Au sein d'une foule de gens, elle est aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau.

Et c'est exactement comme cela que la chef de Vision Montréal a conduit sa campagne, dans le but de faire jouer son charme auprès du plus grand nombre d'électeurs. « C'est comme une campagne de comté, résume-t-elle. Mais à l'échelle de Montréal.»

Nous sommes à une semaine du vote, dans l'arrondissement imprenable de Pierrefonds-Roxboro. Louise Harel rend visite à son candidat local, Mustapha Kachani, un travailleur communautaire qui se présente dans la partie est du quartier, où l'on retrouve les rares îlots de pauvreté du riche West Island.

Le local de Vision Montréal est une ruine. Sur les murs, la peinture est écaillée. Des fils électriques traînent dans les coins. A l'arrière, la porte de la sortie de secours ferme à peine et la salle de bain est un désastre. Pourtant, le local est plein de gens, sagement assis sur des chaises droites. Les discours de chacun s'étirent comme un lent ronron. Et soudain, une femme noire vêtue d'un boubou jaune moutarde lève la main. «J'aimerais savoir, Mme Harel. Si vous êtes élue, allez-vous régler le problème de l'éclairage?»

La femme a ouvert un barrage, où s'engouffrent les autres membres de l'assemblée. Tous vivent dans une immense enclave de HLM baptisée Cloverdale, située tout près. Le flot de leur mécontentement se déverse dans la petite salle. Dans leurs rues, ils n'ont pas d'éclairage, pas de trottoirs, pas de parcs pour faire jouer les enfants. Ils sont pauvres et personne ne les aide.

Louise Harel pose calmement des questions. « Bon. Est-ce qu'on se prend un rendez-vous?» Amoun Issac, la femme au boubou, et son amie Fatiha Karissi, gèrent une banque alimentaire clandestine dans l'un des immeubles. Louise Harel promet d'y aller, le mercredi suivant. Dans l'auto, elle réaménage avec grand-peine son agenda serré au maximum pour revenir à Pierrefonds, un arrondissement imprenable, en pleine heure de pointe, trois jours à peine avant le vote. Dans l'auto, elle est contente. «On est sorti de la politique politicienne. C'est bien.»

Le mercredi suivant, elle est là, tel que promis. La scène est pathétique. Dans le petit local d'un organisme communautaire, des dizaines de personnes sont rassemblées avec leur sac. Dans le sous-sol délabré, des caisses de pains, de pâtes et de légumes, sont distribués par les deux femmes. Fatiha pleure. «On ne peut compter sur personne.»

Un groupe d'enfants est venu poser des questions à la candidate. A cette heure, normalement, ils sont à l'aide aux devoirs, qui se tient dans un sous-sol non chauffé. L'hiver, ils font leurs devoirs avec leur manteau sur le dos. Ils demandent à Louise Harel s'ils pourraient avoir un parc. La chef de Vision Montréal passe plus d'une heure dans le local. Dans l'auto, son constat tombe. «Un autre Montréal-Nord.»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une séparatiste chez les anglos

Louise Harel peut tous les séduire? Vrai, sauf pour les anglos. Dans le dernier sondage réalisé par Angus Reid pour le compte de La Presse, elle était moins populaire chez les anglophones que la chef du marginal quatrième parti, Louise O'Sullivan. Elle a pourtant fait son effort de guerre. Comme à CJAD, ce 26 octobre. Elle est reçue par le redoutable animateur Tommy Schnurmacher. Sa dernière prestation sur les ondes de la radio anglophone a été désastreuse. Elle était arrivée en retard, avait peine à aligner trois mots de suite. Son candidat dans Lasalle, Michael Vadacchino, un anglophone d'origine italienne, parfaitement bilingue, l'accompagne. Il y a aussi l'organisateur dans Lasalle, Joe Schumacher. Ce dernier est nerveux. Très nerveux. «Nous devons montrer à la communauté anglophone qu'elle est en mesure de leur parler. Surtout aux personnes âgées. C'est un électorat très important pour nous.»

Avant l'entrevue, l'organisateur insiste pour que Vadacchino et Louise Harel conversent en anglais. «Pour la mettre dans le bain.» Assis sur une causeuse à la station, Louise Harel en profite pour demander à Vadacchino de lui traduire quelques phrases. «Comment je dirais ça, donc, que les fusions n'étaient pas un complot contre la communauté anglophone?» Le candidat dans Lasalle lui traduit. «It was not a plot against the anglo community». La scène est surréaliste : Vadacchino, un anglophone fédéraliste, qui a milité activement contres les fusions municipales, fournit en anglais un argumentaire pro-fusions à la mère des regroupements municipaux.

L'entrevue commence lentement. Aux premières questions, Louise Harel répond en bafouillant. Elle hésite, se trompe dans ses temps de verbes, confond les adverbes et les noms. Vadacchino est parfois obligé de «traduire» ses réponses tellement elles ne sont pas claires. Joe Schumacher marche de long en large dans le studio. Cette entrevue d'une demi-heure d'une candidate bégayante avec un animateur réputé agressif est une séance de torture pour lui. Un auditeur lui pose la question cruciale : veut-elle être élue maire pour faire la souveraineté? Cette fois, elle trouve les bons mots. «Je suis souverainiste. Michael, ici, est un fédéraliste. Et nous pouvons travailler ensemble.»

A la fin de l'entrevue, Joe Schumacher est content. «Mille pourcent d'amélioration.» Et Tommy Schnurmacher, à la fin de l'entretien, lui a dit qu'elle était very charming.

Avant chaque entrevue en anglais, Louise Harel appelait Caroline Martel, une attachée politique parfaitement bilingue. La jeune femme lui donnait quelques «lignes» en anglais, traduisant le message du jour de Louise Harel. Son conjoint Edmond, dont la deuxième langue est l'anglais, lui laissait parfois des petites fiches avec des phrases-clés. Comme celle-ci, qu'elle prononcera à répétition dans les derniers jours de campagne : «a vote for Richard Bergeron is a leap into the unknown».

A la fin de la campagne, elle fait une dernière entrevue avec l'animatrice de CBC, Nancy Wood. «Elle, elle nous aime pas», dit Marie-Hélène d'Entremont. A la fin de l'entretien, Louise Harel est stupéfaite. «Elle ne m'a pas parlé de souveraineté! Ni des fusions! Peut-être qu'ils se sont résignés.»

Quelques jours plus tôt, elle avait, pour une rare fois, pris le temps de dîner avec Francine Lahaye et Sylvie Bourassa. La veille, l'émission Laflaque s'était moqué de son anglais boiteux. Sylvie Bourassa lui raconte le sketch : «Pauline Marois te donnait des cours. Elle te disait : utilise des mots simples. Yes. No. Muffin. Toaster. Et là, tu écrivais ton discours de victoire avec ces mots-là.» Louise Harel est écroulée de rire. Elle rit tellement qu'elle en pleure.

Mais en privé, les propos de Louise Harel sur les anglophones qui ont opté pour la défusion sont moins drôles. «Ce sont des réfugiés de l'intérieur. Ils ne sont plus des montrealers. Ils sont des westislanders

L'homme derrière Pierre Bourque

Dès le début de la campagne, Louise Harel savait que les anglos resteraient imperméables à son charme. Elle a donc tout misé sur les francophones, et, aussi, les allophones. Elle a fait des dizaines d'événements dans les diverses communautés ethniques de Montréal. Partout, elle a senti l'héritage de Pierre Bourque. «Il suffit de mentionner le nom de Pierre Bourque. Si vous saviez ce que ça provoque», constate-t-elle. Mais la réputation de l'ex-maire ne s'est pas faite seule. L'homme derrière cette fructueuse opération-charme a un nom : Nahid Hussein.

C'est ce Bengali anglophone de 40 ans, toujours à l'emploi de l'Opposition officielle à l'hôtel de ville, qui a réussi à faire de l'ex-maire une véritable vedette dans les communautés ethniques montréalaises. Il a tenté, de la même façon, d'introduire sa nouvelle chef chez ces clientèles cruciales de l'électorat montréalais. Il a fait défiler Louise Harel dans une décapotable pour fêter l'indépendance de l'Inde, l'a amenée au temple sikh de Lasalle, lui a fait serrer des mains dans des centres d'achats où les Nations-Unies magasinaient. Partout, elle a été reçue très chaleureusement.

«J'ai travaillé pour Bourque, autrefois», dit Mumtaz Hussein, un vieux Bengali croisé à la Plaza Côte-des-Neiges, qui se préparait à voter pour Louise Harel parce qu'elle avait repris le parti de l'ancien maire.

Dans une assemblée de la Ligue des Noirs, qui l'a officiellement appuyée, Louise Harel est accueillie comme une véritable star. Ses prises de positions sur les enjeux délicats qui touchent la communauté noire ne sont pas étrangères à cette popularité. «Il y a du profilage racial de la part du Service de police de Montréal», déclare-t-elle en entrevue à la radio haïtienne. Si elle avait été élue, elle aurait confié à Harry Delva, candidat défait dans Saint-Michel, un mandat spécial pour passer les actions du SPVM au crible en ce qui a trait aux relations avec les ethnies.

Le sujet l'indigne. «Pendant la campagne, un jeune homme d'affaires noir m'a raconté qu'il s'était fait interpeller trois fois dans la même journée. La dernière fois, il ouvrait la porte de sa maison et la police est arrivée. Il n'avait rien fait! Mais le message était clair : c'est impossible qu'un Noir habite une aussi belle maison.» Elle porte un jugement sévère sur les actions de la brigade Éclipse, spécialisée dans les gangs de rue. «On se croirait à Los Angeles, avec des interventions qui veulent paraître très musclées.»

Mais, malgré les efforts combinés de Louise Harel et de Nahid Hussein, la candidate n'a jamais réussi à percer chez les allophones. Ils n'ont pas voté pour elle. La seconde opération-charme a échoué.

Faire passer le message

La Yaris est stationnée devant le local de campagne de Vision Montréal, boulevard Saint-Laurent. Les journalistes vont débarquer bientôt pour une conférence de presse. Dans la voiture, Louise Harel parle avec son amie Louise Beaudoin, qui l'a appelée pour lui souhaiter bonne chance. Louise Beaudoin commente la campagne. «C'est comme une émission de télé-réalité!». Louise Harel rit.

Avant de sortir, elle classe ses papiers. «Bon. On va amener le programme du parti, sur lequel on n'aura pas de questions. On va amener les communiqués, sur lesquels on n'aura pas de questions», blague-t-elle. Louise Harel sait très bien que le sujet de cette conférence de presse sera dicté par les médias. Dans La Presse, ce matin, on fait état de l'intention du maire Gérald Tremblay de faire subir aux Montréalais une hausse de taxes de 16% en quatre ans. C'est là-dessus que porteront les questions. Et, pour un parti politique, l'impératif d'une campagne, c'est de faire passer son message. Quel sera le message de Louise Harel sur cette question délicate? C'est ce qu'elle vient mettre au point avec ses adjoints.

Elle rejoint Francine Lahaye, Pierre Lampron, et Sylvie Bourassa dans l'arrière-boutique du local. Ils sont réunis autour d'une petite table bancale, juste à côté de la porte grise et écaillée de la sortie de secours. Autour d'eux, il y a des caisses de bouteilles d'eau, des affiches de Vision Montréal qui n'ont pas trouvé preneur. «Ce qu'on veut, dit Louise Harel à Pierrre Lampron, c'est toute la vérité. Avant dimanche. Le maire doit arrêter de jouer à la cachette.»

«Oui, mais les journalistes vont nous demander si on s'engage toujours à geler les taxes pour 2010», rétorque son bras droit. C'est là une promesse centrale de Vision Montréal. Elle a été prise sur la base de la mise à jour budgétaire, publiée fin septembre. Louise Harel réclame la présence de François Morin, conseiller de contenu à l'Opposition officielle. Morin connaît le programme, et la machine municipale, sur le bout de ses doigts.

Vingt minutes plus tard, il débarque, encore échevelé. La mise à jour budgétaire montrait un surplus de 47 millions, explique-t-il. «Est-il possible que Tremblay ne savait pas?», demande Louise Harel. «Impossible», tranche Morin. Louise Harel est inquiète. «Et est-ce que c'est grave, ce qu'on voit dans La Presse de ce matin?» Morin ne la rassure pas. «Il y a un gros problème anticipé par la machine. Il faut réitérer notre engagement, mais il est possible qu'il y ait de mauvaises surprises.»

Alors, on garde la promesse ou on l'abandonne? «L'idée, c'est d'en dire le moins possible. Il ne faut pas ouvrir trop, dit Louise Harel. Ça serait plus prudent de dire : on verra». «Ça serait plus honnête aussi», ajoute Francine Lahaye, gourou des communications. La ligne sera donc fine. «Notre volonté, c'est de faire un gel de taxes. A moins qu'il n'y ait de mauvaises surprises. C'est ça qu'il faut que je dise?» Francine Lahaye, la gourou des communications, approuve. «Ça demande de l'indignation de ta part», dit-elle.

Sur un autre front, Denise Bombardier a fustigé Richard Bergeron à la radio ce matin, se félicite Francine Lahaye. «Elle a dit : cet homme-là ne reconnaît même pas que l'homme est allé sur la lune. Tu sais, la phrase que je voulais que tu dises depuis une semaine? Elle l'a dite, elle!»

La chef exige que les 102 candidats se tiennent debout derrière elle durant la conférence de presse. «Et mettez des femmes derrière moi!» Devant les journaliste, elle répète le message scripté par son équipe. A la question d'un journaliste qui lui demande de qualifier la campagne, elle lance la blague de son amie Louise Beaudoin. «Une télé-réalité». C'est cette boutade qui fera d'abord la manchette du web.

Évidemment, dans l'arène d'une campagne électorale, il y a bien des façons de faire passer le message. La veille de sa publication par La Presse, Louise Harel avait en main le rapport dévastateur de la nouvelle directrice générale de la Ville, Rachel Laperrière. La directrice générale l'avait envoyé à plusieurs cadres. Louise Harel prévoyait que le rapport allait couler dans les médias. Le lendemain, c'est la manchette de La Presse. Louise Harel tient une conférence de presse dont le sujet officiel est le sport. Mais tout ce qu'elle attend, ce sont les questions des journalistes sur le fameux rapport.

Enfin, une journaliste lui pose la question tant attendue. La chef a préparé sa réponse. «Ça confirme ce que je dis depuis quatre mois et demi : Tremblay a donné les clés de sa ville au privé. On a sous-traité la gestion de la ville.» Dans l'auto, elle est inquiète. «Combien y avait-il de journalistes?» Ça la chiffonne. Mais en arrivant à Radio-Canada pour une entrevue, deux journalistes l'attendent dans le vestibule. Elle est ravie. Malgré son horaire serré, elle prend de longues minutes pour leur répondre.

A l'arsenal médiatique traditionnel des communicateurs, s'est ajouté depuis quelques années l'outil incontournable du web. Jocelyn Desjardins est le Monsieur Web de la campagne de Louise Harel. «Une sorte d'ambassadeur du web», résume-t-il. Sur le site du parti, sur les blogues, sur Facebook et Twitter, les façons de passer le message sont parfois bien différentes. La chef a bloqué plusieurs initiatives audacieuses de Jocelyn Desjardins. Elle était souvent horrifiée par «l'humour cruel» qui sévit sur le web. Mais le jour où Desjardins déniche une vieille entrevue de Richard Bergeron, où ce dernier confie à Michaëlle Jean qu'il a déjà été un fou du volant, elle ne peut pas résister. Les images viennent conforter l'image de weirdo du chef de Projet Montréal. La vidéo finira sur le blogue de Patrick Lagacé et fera parler d'elle pendant des jours.

Le calvaire des débats

C'est un euphémisme que de dire que Louise Harel n'est pas bonne en débat. «Je n'ai pas le style débat», admet-elle. Jean Royer, ancien chef de cabinet de Jacques Parizeau, lui a dit et répété des centaines de fois : «il faut que tu sois plus agressive.» Rien à faire. Elle en est incapable. «S'il faut que je commence à crier, je vais m'en aller chez moi.» Néanmoins, Louise Harel a dû se plier à l'inévitable exercice des débats, et deux fois plutôt qu'une. Il s'est tenu pas moins d'une douzaine de débats pendant la campagne municipale. A chaque fois, l'exercice relevait du calvaire pour la chef de Vision Montréal.

Le summum du stress a été atteint au débat organisé par la Chambre de commerce de Montréal. Côté contenu, Louise Harel était clairement hors de sa zone de confort. Gérald Tremblay était devant son public et son parti avait dépensé des milliers de dollars pour acheter des tables dans la salle. Trois heures avant le débat, l'équipe de Louise Harel est autour d'une table, à l'hôtel de ville. Il faut préparer l'exercice délicat.

La grande table de conférence est couverte de papiers. Communiqués, extraits du programme, un rapport préparé par des économistes mandatés par la Chambre de commerce, qui servira de base à l'argumentation de Louise Harel. La candidate à la mairie brasse ces papiers en lançant des idées, éparses. Sylvie Bourassa note tout sur un grand bloc jaune. Francine Lahaye, qui mâche furieusement sa gomme, empile les papiers. Le cerveau de Louise Harel marche manifestement à toute allure, mais rares sont ceux, autour de la table, qui la suivent vraiment.

«Il faut référer aux constats des économistes. Ils ne pourront pas éviter leurs constats, même s'ils ne veulent pas voter pour moi.» Pour les interventions de quelques minutes qui précèdent les cinq thèmes, la forme est donc établie. Énoncé de la situation-constat des économistes-propositions de Vision Montréal.

«Bon. Il faut résumer tout ça en trois minutes.» Sylvie Bourassa et Francine Lahaye partent en courant avec le bloc jaune et une pile de papiers : le programme, les communiqués, le rapport des économistes. Sylvie Bourassa est au clavier. Elle tape à toute allure. Francine Lahaye dicte en mettant bout à bout des paragraphes de tous ces documents. Il est 9h45. Le débat est dans deux heures et demie. «On n'aura jamais le temps», dit Sylvie Bourassa. Louise Harel quitte pour d'autres activités.

Une demi-heure à peine avant le débat, les notes sont prêtes. Louise Harel grignote des sandwiches dans l'auto en relisant le tout. Elle annote tout. Souligne en jaune. «Il manque un bout sur l'économie sociale», dit-elle. Francine Lahaye appelle un adjoint qui viendra porter le communiqué directement à l'hôtel Delta. Eileen Royal stationne la voiture juste devant les portes de l'hôtel. Louise Harel relit encore ses notes.

Le débat ne se passe pas bien. Dès son entrée, le maire est chaudement applaudi par ce public acquis. Pas elle. Sur la scène, elle semble nerveuse. Sa voix chevrote. La plate-forme qu'on lui a donnée derrière son lutrin pour la grandir est trop haute : elle semble donc voûtée sur le micro. Elle est incapable de se détacher de ses notes pour débattre avec passion.

Gérald Tremblay, à l'inverse, est comme un poisson dans l'eau. Il déclame avec assurance des phrases parfois franchement surprenantes. «Je privilégie une stabilité évolutive.» Cette assurance, qu'il conserve malgré un contexte pourri, enrage Louise Harel. «Il nous dit : le cheval blanc de Napoléon est noir. Et il le dit avec une telle conviction qu'on a presque le goût de le répéter avec lui!». Elle trouve la couche de teflon de Gérald Tremblay bien dure à percer. «Je n'en reviens pas. La seule comparaison qui me vienne en tête, c'est Jean Chrétien.»

Après le débat, Louise Harel se demande qui a payé les tables réservées à Union Montréal. Francine Lahaye a une réponse. «J'ai rencontré quelqu'un qui travaille à la ville, ce matin. Il m'a dit : je vais être au débat, j'ai une table. Ta table payée avec mes taxes, gros lard!»

Deux jours plus tard, nouvelle préparation de débat. Cette fois, c'est sur les ondes du 98,5, à l'émission de Paul Arcand. Il est tard. Sylvie Bourassa n'a pas mangé de la journée. Elle titube de fatigue. «Bon. C'est le dernier débat. Je pourrais dire tout ce qu'ils vont dire et eux aussi», résume Louise Harel, ce qui fait crouler tout le monde de rire.

«Dans le fond, ajoute-t-elle, c'est la première et la dernière minute qui comptent», ajoute-t-elle. Et Francine Lahaye ajoute, avec l'humour acide qui la caractérise : «et entre les deux, vous vous criez après et personne ne comprend.» Le lendemain midi, l'amie de Louise Harel respire. «Enfin, c'est fini les débats. Pu capable.»





Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Louise Harel à la radio.

Le dernier droit

Dans les derniers jours de la campagne, un impératif s'impose : faire sortir le vote. Grégoire Bérubé, l'organisateur en chef, a prévu 600 personnes, téléphonistes et accompagnateurs, pour inciter les sympathisants à voter le 1er novembre. Au fil de la campagne, le parti a «pointé» 120 000 sympathisants dans tout Montréal. Pour gagner, il faut maintenant qu'ils aillent voter. Philippe Lafrance, un jeune organisateur, a eu l'idée de cibler les jeunes dans les bars situés près des universités. La veille du vote, le soir de l'Halloween, il se rend distribuer son dépliant assez spécial : un petit carré de carton qui renferme un condom. Le message : pour éviter les surprises le 2 novembre, protège-toi. Et protège ta ville.

«Ils vont dire qu'on capote», blague Francine Lahaye.

Les élections municipales sont particulièrement coriaces pour les organisateurs. Elles sont l'équivalent d'une élection provinciale, au niveau des arrondissements, qui se double cependant d'un «référendum», puisque le maire est élu au suffrage universel. Impossible, donc, de laisser tomber les arrondissements peu prometteurs, puisque peuvent s'y cacher des électeurs qui seront utiles pour l'élection du maire. «Il va falloir pas mal de votes pour compenser ceux qui n'aiment pas que je sois séparatiste et qui étaient contre les fusions», résume Louise Harel.

C'est le jour de l'Halloween. Louise Harel sort de chez son acupuncteur. Ce matin, elle est fatiguée, ça paraît. Ses traits sont tirés. Hier, elle s'est tapé une journée de 15 heures. Départ : 7 heures. Retour : 22 heures. Elle a traversé la ville trois fois. Elle se maquille soigneusement avant de sortir de la voiture et d'affronter les caméras pour la dernière vraie journée de campagne. Il ne faut jamais, jamais avoir l'air fatiguée. «Sinon, on a l'air dépassée.»

Elle tient l'une de ses dernières rencontres de la campagne avec les associations de chauffeurs de taxi propriétaires. Elle les a aussi rencontrés au tout début. Après l'entretien, les chauffeurs sont ravis. Ils l'appellent déjà madame la mairesse. Plus tard, elle explique sa stratégie à un candidat : avec les clients, «aujourd'hui et demain, ils vont être nos amis», dit-elle en faisant un clin d'oeil. Une façon comme une autre de faire sortir le vote.

Le matin du 1er novembre, la chef déjeune avec sa comparse, Francine Lahaye. Les deux femmes s'entendent sur les grandes lignes des deux discours. Victoire, ou défaite. Si elle avait gagné, Louise Harel se serait employé à rassurer les anglophones et les allophones. «Je prends l'engagement sans faille d'être la mairesse de tous les Montréalais.»

Au moment où on arrive chez son frère, au tout début de la soirée électorale, elle pratique ses deux discours au sous-sol, devant sa belle-soeur et son gendre. A 21 heures, les premiers résultats sortent. Elle remonte. Elle reste totalement maître d'elle-même devant ces premiers résultats désastreux : 41% à 33%. «Gérald est en avance», dit-elle d'un ton neutre. L'avance se réduira un peu, mais ne s'effacera jamais. Pourtant, dans la grande maison chaleureuse de Jean-François Harel, personne ne tempête, personne n'a les yeux rouges.

Vers 10h30, il faut bien aller au théâtre Telus. Louise Harel et sa fille Catherine s'enlacent devant la maison. Une étreinte longue et douloureuse. Arrivée dans la loge blafarde et exigüe du théâtre, Louise Harel se tient debout, seule d'un côté de la pièce. Elle relit son discours. Son petit-fils Julien vient appuyer la tête sur son épaule. Elle passe son bras autour de lui. Plus tard, dans l'auto, lessivée, elle laissera tomber sa seule phrase amère de la soirée en parlant de Gérald Tremblay. «Mais comment pourrait-il se transformer complètement?»

Comment en arrive-t-on à une telle maîtrise de ses émotions? «Il le faut, répond-elle. Avec une phrase comme l'argent et le vote ethnique, Jacques Parizeau nous a causé du tort pendant dix ans.» Elle est arrivée chez elle. Avant de descendre, elle fait son dernier constat. «C'est la politique. Je n'ai pas d'états d'âme.»

Eileen Royal reprend la route, seule à bord de la Yaris bleue. Son visage est couvert de larmes.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse