Louise Harel, la nouvelle chef de l'opposition à l'hôtel de ville, s'interroge sur le rôle de l'entrepreneur Tony Accurso dans les dernières élections municipales de Montréal.

Deux semaines avant les élections du 1er novembre, TVA a révélé qu'il y avait eu six échanges, au début de 2009, entre les téléphones cellulaires de M. Accurso et de Benoit Labonté, ex-bras droit de Mme Harel.

 

Cette information prouvait que M. Labonté avait menti lorsqu'il a soutenu qu'il n'avait jamais pris contact avec M. Accurso. Ce dernier est au coeur de plusieurs controverses depuis un an. Le lendemain du reportage, diffusé le 18 octobre, Mme Harel a exigé la démission de M. Labonté.

La chef de Vision Montréal ne remet pas en cause la pertinence du reportage. Elle estime qu'il était d'intérêt public. «En mentant, M. Labonté a amorcé la bombe qui allait gravement perturber la campagne électorale de notre parti, a dit Mme Harel dans une entrevue avec La Presse, cette semaine. Mais la question demeure: qui donc a appuyé sur le détonateur?»

À moins de croire à un improbable complot impliquant la police ou une entreprise de téléphone, l'information divulguée par TVA ne pouvait provenir que de deux sources: le relevé de téléphone cellulaire de M. Labonté... ou celui de M. Accurso.

Brandissant quelques feuilles, le journaliste Paul Larocque avait donné des détails extrêmement précis sur les échanges téléphoniques entre MM. Accurso et Labonté. Il a révélé les dates des appels et leur durée en secondes. Il a indiqué que quatre appels provenaient de l'appareil téléphonique de M. Labonté, et les deux autres de celui de M. Accurso.

Depuis, Mme Harel a obtenu le relevé téléphonique de M. Labonté pour cette période. Il s'agit d'une facture de Rogers sans fil, payée par l'arrondissement de Ville-Marie, dont M. Labonté était le maire.

Les appels y sont facturés à la minute, non à la seconde. Surtout, le relevé ne précise pas l'origine des appels entrants. Impossible, avec ce document, de savoir que M. Accurso a téléphoné à M. Labonté les 14 et 19 janvier 2009, et que les appels ont duré respectivement 31 secondes et deux minutes et une seconde.

M. Accurso a lui aussi un téléphone Rogers. Vérification faite, l'entreprise offre une option qui permet aux abonnés - généralement des hommes d'affaires - d'avoir une facturation à la seconde ainsi que les détails des appels entrants sur leurs factures.

«Le scénario le plus probable, c'est donc que M. Accurso lui-même a fourni le relevé téléphonique des appels échangés avec Benoit Labonté, estime Mme Harel. Sachant que M. Accurso est reconnu pour sa grande discrétion, quels auraient pu être ses motifs, si ce n'est pour faire dérailler ma campagne alors que je menais toujours dans les sondages?»

C'est le journaliste Fabrice de Pierrebourg qui a le premier révélé les relations de MM. Accurso et Labonté sur le site RueFrontenac.com, fondé par les employés en lock-out du Journal de Montréal. Selon lui, M. Accurso a remis plusieurs milliers de dollars à M. Labonté pour l'aider à se faire élire à la tête de Vision Montréal en 2008.

Pendant l'hiver 2009, La Presse a multiplié les enquêtes sur le contrat des compteurs d'eau, obtenu par une compagnie contrôlée par M. Accurso et par la firme d'ingénieurs Dessau. La Presse a révélé entre autres choses que Frank Zampino était allé en croisière sur le yacht de M. Accurso dans les Antilles alors qu'il était président du comité exécutif de la Ville et que M. Accurso négociait l'obtention du contrat des compteurs d'eau. Après avoir quitté ses fonctions à l'hôtel de ville, M. Zampino a été embauché par Dessau à titre de vice-président.

Plutôt que de se porter à la défense du contrat des compteurs d'eau, M. Labonté et les membres de son parti ont posé des questions au conseil municipal, ce qui a contribué à ajouter à la controverse. Après un rapport accablant du vérificateur général, en septembre, M. Labonté a demandé une réunion extraordinaire du conseil municipal pour annuler le contrat.

«Il y a tout lieu de croire que M. Accurso pouvait craindre l'élection de Vision Montréal et la défaite du parti du maire Gérald Tremblay, estime Louise Harel. Quoi qu'il en soit, cette histoire montre à quel point les hommes et les femmes politiques doivent exiger de modifier en profondeur les règles de financement des partis pour devenir invulnérables face aux risques de pression.»

Tony Accurso n'a pas répondu à notre demande d'entretien. De son côté, Paul Larocque a indiqué que le code d'éthique des journalistes l'oblige à garantir la confidentialité de ses sources. «Il n'est évidemment pas question que je révèle mes sources», a-t-il dit.