«Les années où j'avais de quoi manger, je venais porter de la nourriture. Là, c'est moi qui ai besoin de manger, alors je viens le chercher, mon panier de Noël.»

Ce jour-là, c'était jour d'inscription pour les paniers de Noël à Jeunesse au Soleil.

Où faut-il s'inscrire? Au deuxième étage, là-bas. Il faut suivre le chant des oiseaux - il y a une cage, dans laquelle de petits oiseaux chantent. Ça détend l'atmosphère, assez lourde par moments.

 

À la télévision, le présentateur de nouvelles annonce que le salaire minimum va augmenter de 50 cents.

«C'est la première fois que je dois venir chercher un panier de Noël», dit Ariane*, tout embarrassée.

Ariane est la fille d'un cadre supérieur et d'une mère dont le travail consiste à aider les démunis. Comment leur fille peut-elle en être réduite à venir chercher son panier de Noël?

Ses parents, à un moment donné, ont été dépassés, et elle les comprend très bien. «J'ai fait des choix qui ne correspondaient pas à leurs valeurs. J'ai pris pas mal de drogue, je suis devenue squeegee. Au même moment, ma soeur s'est mise à faire des psychoses. Mettons que ce n'était pas terrible.»

Ariane, elle, émerge. «J'ai commencé à trouver que c'était froid, un banc de parc, alors je me suis trouvé un emploi.»

Un emploi au salaire minimum dans une chaîne de restauration rapide, avec les horaires imprévisibles et réduits au possible les mois où les clients se font plus rares.

«Quand j'ai vu ça, je me suis présentée au dépanneur d'à côté. Mon employeur l'a su et ne m'a plus donné d'heures du tout.»

Ariane dit qu'elle pourrait très bien donner un petit coup de fil à ses parents et qu'ils la dépanneraient sans doute. «Mais j'aime mieux me débrouiller autrement. On vient tout juste de recoller les morceaux et je ne veux pas avoir l'air de profiter d'eux. Je ne suis pas capable de leur demander plus.»

Audrey aussi longe un peu les murs en venant chercher son panier de Noël. Pour elle aussi, c'est une première dont elle se serait bien passée. «En plein temps des Fêtes, le resto où je travaille ferme. Pour de bon.»

De toute façon, Audrey n'aurait pas pu continuer comme ça bien longtemps, dit sa mère, qui l'accompagne. Audrey est enceinte, ses collègues ont bien tenu leur langue et son employeur n'en sait toujours rien. C'est le copain d'Audrey qui, tous les soirs, vient en catimini laver le plancher du resto à sa place.

Audrey repartira avec un papier sur lequel il est écrit «extra, femmes enceintes» et avec des noms d'organismes où trouver de l'aide au cours des mois à venir.

Profiter du système

À l'inverse d'Audrey et d'Ariane, plus représentatives de la majorité des gens qui viennent se chercher des paniers, il y en a quelques-uns qui grossissent de beaucoup leur famille dans l'espoir d'avoir une plus grosse dinde ou un plus gros panier de Noël. Certains ont soudainement beaucoup d'enfants, de soeurs et de maris à nourrir. Les vérifications sont faites, et non, les personnes seules ne recevront quand même pas l'énorme dinde qu'elles espéraient.

Alain Métivier, conseiller aux services d'urgence à Jeunesse au Soleil, n'est pas dupe: «De 10% à 15% des gens sont là pour profiter du système. On sait bien qu'ils vivent davantage du travail au noir ou de la prostitution que du chèque d'aide sociale qu'ils nous montrent.»

C'est comme ça dans toutes les banques alimentaires, dit-il, mais mieux vaut en nourrir 10% ou 15% de trop que d'être trop méfiant et d'en laisser un seul avoir faim.

Comme Sarah, par exemple, qui ne peut pas trop compter sur son frère et qui est trop gênée pour s'en remettre à son père, qu'elle vient tout juste de retrouver.

«Pour résumer la situation, me voici, seule avec deux enfants; le père du premier a été expulsé en Afrique, et le père de mon deuxième, aux Antilles.»

Originaire du Mexique, Monica, elle, est ici depuis cinq ans. Elle étudie à l'UQAM grâce à un prêt. Les temps sont durs pour elle aussi. N'empêche. «Ici, je me sens protégée, dit-elle. Il y a un bon filet social, et puis on peut compter sur la communauté quand on n'y arrive pas. Il y a beaucoup de portes où frapper.»

*Les prénoms sont fictifs, mais les histoires sont vraies...