La Ville de Montréal s'apprête à céder un des rares jardins communautaires du centre-ville à un promoteur privé, une transaction réalisée «en catimini», selon les groupes communautaires du quartier, furieux.

D'après les informations qu'a obtenues La Presse, le comité exécutif a approuvé il y a trois semaines la vente d'un terrain situé rue Berger, près du boulevard Saint-Laurent, en plein coeur du Red Light. Le lot a été acheté 425 000$ par une société à numéros qui y construira des condos de luxe.

 

Éric Michaud, coordonnateur au Comité logement Centre-Sud, est scandalisé par la façon dont la vente s'est faite. Il compte s'y opposer ce soir pendant la séance du conseil municipal.

«On va déplorer le fait que non seulement la Ville de Montréal a pris la décision d'éliminer un jardin communautaire, mais qu'en plus, elle a décidé de céder un terrain public lui appartenant dans un secteur où les besoins en logements sociaux et communautaires sont très importants», a-t-il dénoncé.

Le petit terrain au coeur du litige ne paie pas de mine. Il compte 14 jardinets et un cabanon utilisés depuis une vingtaine d'années par des résidants du quartier. Mais malgré son aspect peu attirant, il revêt une importance cruciale dans ce secteur densément peuplé, fait valoir Agnès Connat, coordonnatrice de la Table de concertation du Faubourg Saint-Laurent.

«Pour nous, les jardins communautaires, c'est un plus pour la qualité de vie, ça lutte contre les îlots de chaleur et plusieurs sont utilisés par des gens défavorisés», a-t-elle lancé.

Les groupes citoyens sont d'autant plus outrés que cette vente se traduira, selon eux, par la «perte nette» de 14 jardinets, une denrée rare dans le quartier. La Ville suggère de déplacer les utilisateurs vers les jardins communautaires des Habitations Jeanne-Mance, à quelques coins de rue, mais cela ne fera que changer le problème de place, disent-ils.

«En général, ça prend trois ans avant qu'une place se libère ici», a précisé Kathleen McMeekin, chargée de projets en environnement aux Habitations Jeanne-Mance.

Au cabinet du maire Gérald Tremblay, on affirme vouloir fournir un «accommodement» aux utilisateurs dans un lieu qui reste à déterminer. Les jardins de la rue Berger seront maintenus pour un dernier «été de grâce», a indiqué le porte-parole Darren Becker.

CPE ou logements abordables

Agnès Connat soutient que son organisation n'a jamais souhaité recevoir le terrain gratuitement de la Ville de Montréal. Mais tant qu'à le vendre, la municipalité aurait pu l'offrir en premier lieu à des groupes communautaires, qui auraient pu trouver des fonds pour y bâtir des logements abordables ou une garderie, dit-elle. «Si on veut un Montréal habité, si on veut une mixité sociale, il faut que la Ville participe à la création de cette mixité», a lancé Mme Connat.

L'objectif de la Ville avec cette transaction est d'abord et avant tout financier, révèle un sommaire décisionnel du comité exécutif que La Presse a obtenu. La société qui s'est engagée à acheter le terrain devra y bâtir des résidences d'une valeur totale minimale de 1,2 million, apprend-on, ce qui générera des revenus de taxation annuels estimés à 25 000$.

Joint au téléphone, David Trunzo, actionnaire de la société à numéros 9159-9092 (l'acheteuse du terrain), a souligné vouloir contribuer à la revitalisation d'un quartier en pleine transformation, à deux pas de la place des Festivals. «On a l'idée de le changer pour le mieux pour tout le monde», a-t-il fait valoir. M. Trunzo se dit prêt à s'asseoir et discuter avec les représentants des groupes communautaires. «Nous sommes ouverts à presque tout.»

Sa société a déjà acheté, il y a environ un an, un terrain en face des jardins communautaires, où elle commencera à construire dans quelques semaines des condos de luxe. Les appartements d'une et deux chambres à coucher se vendront environ 300$ le pied carré.