La Ville de Montréal vient de vendre un terrain en plein centre-ville de Montréal au Groupe Aquilini, du promoteur Luigi Aquilini, pour 566$ le mètre carré, alors qu'un terrain voisin s'est vendu trois fois plus cher en octobre dernier, 1544$ le mètre carré.

Dans un document interne, la Ville considère que le terrain est «très bien situé». Servant actuellement de stationnement, il longe l'avenue de l'Hôtel-de-Ville et la rue Charlotte, à l'est du boulevard Saint-Laurent et au nord du boulevard René-Lévesque. D'une superficie de 2650 mètres carrés, il a été vendu le 29 mars pour 1,5 million de dollars.

Le conseiller municipal du district, François Robillard, membre du parti de l'opposition Vision Montréal, juge la transaction tellement curieuse qu'il a demandé au vérificateur général de la Ville, Jacques Bergeron, d'ouvrir une enquête.

«Je m'interroge sur ce qui a pu amener la Ville à vendre ce terrain bien en deçà de la valeur commerciale», a-t-il écrit à M. Bergeron, le 9 avril. Le vérificateur fait déjà enquête sur des transactions immobilières de la Ville Montréal dans le secteur, plus précisément avec la Société de développement Angus, qui a reçu le mandat de faire revivre la vie culturelle et économique dans le Red Light.

Quartier des spectacles

Les investissements publics dans le Quartier des spectacles sont susceptibles de faire augmenter la valeur de toutes les propriétés dans ce quartier. Les promoteurs en sont bien conscients. Le 23 octobre, une société à numéro de l'homme d'affaires Krikor Hairabedian a acheté un terrain de 615 mètres carrés, rue Charlotte, tout près de l'avenue de l'Hôtel-de-Ville, pour 950 000$, soit 1544$ le mètre carré. Cette semaine, on a appris que la Ville de Montréal s'apprêtait à vendre des jardins communautaires adjacents à la même société à numéro pour 971$ le mètre carré. Devant l'opposition des groupes communautaires, ce projet a été suspendu pour un an.

Par ailleurs, une propriété a été mise en vente sur l'avenue de l'Hôtel-de-Ville pour 1750$ le mètre carré. Cette propriété est située juste en face du stationnement vendu par la Ville au Groupe Aquilini pour 566$ le mètre carré. L'annonce de la mise en vente indique que l'acheteur pourra y construire un immeuble de cinq étages. Dans ce cas, il devra payer les coûts de démolition du vieux bâtiment qui s'y trouve déjà.

Comment expliquer que la Ville vende un terrain trois fois sous le prix du marché? Un porte-parole de la Ville, Philippe Sabourin, a répondu que la Ville s'était engagée à vendre son terrain au Groupe Aquilini il y a 11 ans, pour la somme de 400 000$. Les documents de la Ville indiquent que, en 1999, le Groupe Aquilini s'engageait à acheter le terrain au plus tard en mars 2003, et à terminer la construction au plus tard en 2005.

L'accord de construction stipulait que la Ville pouvait résilier cette entente si le promoteur ne respectait pas les délais. Une fois ces délais passés, la Ville a donc indiqué au Groupe Aquilini qu'il était en défaut d'acquérir le terrain, puis elle l'a avisé que l'accord était résilié. Le promoteur a prétendu que l'accord était toujours valide. Il a envoyé une mise en demeure.

«J'avais encore mon droit (sur le terrain), a dit Jocelyn Lafond, vice-président de l'exploitation du Groupe Aquilini, lors d'un entretien avec La Presse, cette semaine. C'est une bonne chose que la Ville encourage la construction dans ce secteur.»

Négociations «à l'amiable»

«On a négocié à l'amiable avec le promoteur, a dit Philippe Sabourin. Avec la mise en demeure, le litige pouvait se retrouver devant les tribunaux. On n'aurait pas pu vendre le terrain pendant plusieurs années, ce qui nous aurait privés des revenus d'impôt foncier. On a préféré éviter un feuilleton judiciaire en signant une solution négociée. La Ville réalise une bonne affaire en vendant le terrain pour 1,5 million.»

Marie Gaudreau, membre de l'Association des résidants des Faubourgs, est scandalisée. Elle note que la Ville établit elle-même la valeur du terrain à 3,3 millions. «Le Groupe Aquilini traînait les pieds pour acheter ce terrain parce que le règlement de zonage lui interdit de construire un immeuble de plus de cinq étages, a-t-elle dit. En lisant l'acte de vente, on constate qu'il pourra demander une modification du règlement. S'il l'obtient et s'il construit un immeuble de sept ou huit étages, il paiera un peu plus. C'est probablement ce qui va se passer. À Montréal, tout s'achète.»

«Le Groupe Aquilini a déjà acquis des terrains à la Ville dans le quartier, sans respecter les ententes, a ajouté Mme Gaudreau. Il devait construire des appartements locatifs. Finalement, ces appartements ont été convertis en copropriétés hôtelières (le long du boulevard René-Lévesque): ce n'est pas comme ça qu'on revitalise un quartier.»