La reconstruction de l'échangeur Turcot aura des impacts majeurs et durables dans le sud-ouest de Montréal. Le ministère des Transports du Québec et la Ville de Montréal suggèrent des plans fort différents, mais, peu importe la forme qu'il prendra, le nouvel échangeur conditionnera l'avenir de ce secteur, de la falaise Saint-Jacques jusqu'au canal de l'Aqueduc et du centre-ville jusqu'à Montréal-Ouest. Le destin du Sud-Ouest se jouera-t-il sous des piliers de béton ou à l'ombre d'un haut remblai?

1. Expropriations à Saint-Henri

L'enjeu

Dans les années 60, environ 6000 personnes ont été déplacées, leurs logements démolis et leurs quartiers déstructurés par la construction de l'échangeur Turcot.

 

Dans son projet original, l'an dernier, le ministère des Transports du Québec (MTQ) prévoyait qu'environ 300 personnes de plus devraient être délogées pour la reconstruction de l'échangeur. Le Ministère prévoyait acquérir 69 terrains, dont 26 propriétés résidentielles totalisant 174 logements, 36 lots commerciaux ou industriels, dont un magasin Home Depot, et sept lots d'utilité publique - dont des terrains de voirie appartenant aux Villes de Montréal et de Westmount. Le budget prévu pour ces acquisitions est de 110 millions de dollars.

Le BAPE

«Puisque la construction de ce complexe a, à l'origine, provoqué des acquisitions importantes qui ont fragmenté l'habitat urbain, il n'est pas possible de souscrire à d'autres acquisitions de résidences», concluent les commissaires du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) dans leur rapport. Le BAPE invite le MTQ à examiner avec les Villes de Montréal et de Westmount «une façon de réaménager le projet pour éviter ces acquisitions», en particulier l'expropriation de 160 logements dans les rues Saint-Rémi et Cazelais, dans Saint-Henri, le long de l'autoroute Ville-Marie (A-720)

Le projet du MTQ

Le ministère des Transports du Québec a apporté des modifications majeures à son projet original pour éviter le plus grand nombre d'expropriations possible, au point de «déclasser» l'autoroute 720, qui deviendrait une «route nationale à grand débit de circulation» plutôt qu'une autoroute. Le rétrécissement des voies de circulation et des accotements va réduire quelque peu la fluidité de la circulation, mais cela permettra de sauver les maisons de la rue Cazelais. Par ailleurs, le MTQ ne peut pas éviter l'ancienne usine convertie en lofts située au 780, rue Saint-Rémi, à moins de couper le bâtiment en deux - et on a vraiment envisagé cette possibilité. L'immeuble compte une centaine d'appartements, presque 60% des logements dont le projet original du MTQ prévoyait la démolition.

Le projet de la Ville de Montréal

Aucune expropriation n'est prévue dans le scénario de la Ville de Montréal.

2. Les remblais de Côte-Saint-Paul

L'enjeu

Aux audiences du BAPE tenues en 2009, tout le Sud-Ouest et la Ville de Montréal ont vivement dénoncé le projet du MTQ de reconstruire l'échangeur Turcot sur des remblais de plusieurs mètres de hauteur dans des quartiers résidentiels. Les résidants craignent que les talus ne créent des barrières entre les quartiers de la ville. L'enjeu n'est nulle part plus aigu que dans le secteur de Côte-Saint-Paul, au sud du canal de Lachine, qui longe l'autoroute 15 sur environ 1 km jusqu'au canal de l'Aqueduc. Entre les canaux, des remblais s'élèveront jusqu'à 10 m, l'équivalent d'un triplex.

Le BAPE

«L'effet de barrière visuelle et physique déjà créé par l'autoroute 15, entre la rue Saint-Patrick et le boulevard de La Vérendrye, serait aggravé par la reconstruction en remblai», selon le BAPE. «Elle ferait en sorte que le quartier demeure scindé en deux pour les générations à venir.» Les expropriations et la construction de ces remblais dans les secteurs résidentiels de Saint-Henri et de Côte-Saint-Paul sont les aspects qui ont soulevé les critiques les plus dures du BAPE lors des audiences du printemps 2009.

Le projet du MTQ

Les bretelles actuelles de l'autoroute 15, qui traverse le complexe Turcot du nord au sud, sont parmi les plus élevées de l'échangeur. Elles culminent à environ 30 mètres de hauteur. Pour ramener les voies plus près du sol et éliminer un maximum de structures et de piliers de béton, le MTQ a opté pour le réaménagement des voies sur des remblais. Devant le rejet massif de son concept, le Ministère se dit disposé à ouvrir des accès qu'il avait condamnés et à élargir des ouvertures visuelles au-dessus des chemins de passage prévus afin de permettre aux résidants de circuler d'un côté à l'autre de ces remblais.

Le projet de la Ville

Son projet propose une reconstruction sur des piliers de béton d'une hauteur de 15 m en moyenne, la hauteur de certaines portions de l'actuelle autoroute 15. Afin de réparer le tissu urbain entre les secteurs de Côte-Saint-Paul et Cabot, situés de part et d'autre de l'autoroute, et qui seront toujours séparés par un no man's land large d'environ 6 m, la Ville propose d'aménager des terrains récréatifs, des marchés et des commerces sous les voies de l'autoroute.

3. La falaise Saint-Jacques

L'enjeu

La falaise Saint-Jacques est longue d'environ 5 km entre Westmount et Montréal-Ouest et constitue une barrière naturelle haute de près de 30 m entre le sud et les quartiers Notre-Dame-de-Grâce et Côte-des-Neiges. Un peu invisible et oubliée depuis 40 ans, la falaise a été désignée, en 2004, comme l'élément central d'un écoterritoire de 213 hectares qui s'étend jusqu'au canal de Lachine et englobe toute l'ancienne gare de triage Turcot. La Ville souhaite maintenant mettre en valeur ce territoire. Ce projet est incompatible avec le projet du MTQ, qui prévoyait «un sentier multifonctionnel» et une bande verte de protection de 15 m entre la falaise et la nouvelle emprise de l'autoroute 20.

Le BAPE

Dans son rapport, le BAPE a estimé que le sentier multifonctionnel du MTQ, qui n'est au fond qu'une piste cyclable, ne servirait qu'à des fins récréatives et qu'il risque d'être peu fréquenté puisqu'il n'est pas relié au reste du réseau cyclable. Le BAPE estime que la zone tampon entre les infrastructures et la falaise devrait être deux fois plus large (au moins 30 m) «pour assurer la protection de la falaise et contribuer à la mise en valeur de l'écoterritoire».

Le projet du MTQ

Le MTQ n'a pas vraiment formulé de projet pour la falaise. Dans son projet, le Ministère céderait un couloir de 15 m, totalisant 5 hectares de superficie, qui longerait la falaise entre l'autoroute Décarie et la ville de Montréal-Ouest. Au sud de cette bande de protection, que le MTQ va porter à 30 m conformément aux suggestions du BAPE, le Ministère prévoit déplacer l'autoroute 20 (actuellement construite au sud de la gare Turcot) et un couloir ferroviaire de 8 à 10 voies longeant le territoire de la falaise.

Le projet de la Ville

Le «quartier de la Falaise» est la surprise du concept rendu public par la Ville de Montréal. Il s'élèverait à l'endroit où le MTQ prévoit faire passer l'emprise de l'autoroute 20 et les voies ferrées. La Ville de Montréal déplacerait ces infrastructures au sud de la gare Turcot , entre le canal de Lachine et le futur quartier. Des bâtiments industriels et commerciaux longeraient la nouvelle A-20, adossés à un secteur résidentiel de plusieurs milliers de logements orienté vers la falaise. Au pied de la falaise, un parc urbain mettrait le territoire en valeur et protégerait la faune - notamment les oiseaux - qui s'y est implantée.

À consulter :

> La différence entre le projet de la MTQ et le projet de Montréal