Nicholas Polyzos est notaire dans le quartier Villeray depuis 27 ans. Et si le projet de l'agence de la santé et des services sociaux de Montréal voit le jour, il craint que sa pratique soit mise en péril. Son triplex est adjacent à l'ancien hôpital chinois, qui pourrait bientôt accueillir 150 patients inuits.

Comme plusieurs ici, M. Polyzos craint que son triplex perde de la valeur. Mais avant tout, il redoute une hausse de la criminalité dans le quartier, qui accueille de plus en plus de familles.

«Dans le quadrilatère, il y a une école primaire, une école secondaire et plusieurs garderies, indique-t-il. Pourquoi installer le centre dans un quartier ? Simplement parce qu'on y trouve un hôpital vacant?»

À la séance du conseil d'arrondissement d'hier soir, 49 personnes se sont inscrites pour poser une question à la mairesse Anie Samson, deux fois plus que le mois dernier. Et la moitié d'entre elles voulaient en savoir davantage sur l'avenir de l'ancien hôpital. Une équipe de reportage du réseau APTN, la télévision des Premières Nations, était sur place pour assister à la réunion.

«Le quartier a le droit de dire qu'on n'en veut pas, a dénoncé un citoyen qui demande à l'arrondissement d'afficher sa position dans le dossier. On n'en veut pas dans notre cour pour plusieurs raisons qui sont justifiées et claires.»

Certains ont poussé la contestation plus loin. Au cours des derniers jours, ils ont distribué un dépliant intitulé «Danger imminent» dans des dizaines de domiciles. On y met la population en garde contre la présence de ces ciyotens du Nunavik, qui entraînerait, selon le dépliant, une augmentation majeure de la criminalité, de la prostitution, du trafic de drogue.

Des soins médicaux

Or, les citoyens du Nunavik qui sont hébergés dans ces centres sont plutôt des Inuits qui n'ont pas accès à certains soins médicaux de pointe. Ceux qui souffrent de cancer, qui ont besoin d'opérations spécialisées ou qui éprouvent des problèmes de grossesse sont transportés par avion à Montréal. Une fois ici, ils sont hébergés dans l'un des sept centres administrés par le Module du Nord québécois.

Le principal centre se trouve rue Saint-Jacques, dans un quartier où la criminalité est bien présente (voir autre texte). L'agence de la santé et des services sociaux de Montréal et celle du Nunavik souhaitent donc regrouper tous les patients dans un même centre d'hébergement, et installer ce centre dans l'ancien hôpital de la rue Saint-Denis, coin Faillon.

Sitôt informée de la décision de l'Agence, au début du mois de mai, la mairesse de l'arrondissement, Anie Samson, a dénoncé le projet. «Me dire qu'il n'y aura aucune incivilité, c'est nous mentir», a-t-elle déclaré à Radio-Canada.

Hier, elle a dénoncé la distribution du tract «Danger imminent», et tenu des propos beaucoup moins virulents à l'égard du projet. «Cette déclaration, il faut la situer dans le temps : c'était avant que l'Agence nous rencontre, a-t-elle expliqué. Elle ne nous a pas informés du tout du projet au début.»

Comme plusieurs de ses concitoyens, la mairesse critique le manque de transparence de l'agence de la santé et des services sociaux de Montréal, qui refuse toujours de dire quand et sur quelle base elle prendra une décision dans ce dossier.

Sa porte-parole, Guylaine Chabot, n'a pas été en mesure de répondre aux préoccupations des résidants de l'arrondissement, qui craignent l'augmentation de la criminalité et de la toxicomanie dans leur quartier.

«On n'a pas d'opinion là-dessus», a-t-elle affirmé à La Presse, précisant que son agence est «sensible aux préoccupations des citoyens».

L'organisme qui coordonne l'hébergement des patients inuits, le Module du Nord québécois, n'est guère plus loquace. Son directeur, Luc Guénette, a refusé d'expliquer le projet à La Presse.

Un risque exagéré?

La directrice de l'Agence de la santé et des services sociaux du Nunavik, Jeannie May, s'explique mal une telle levée de boucliers. Elle craint que plusieurs résidants de l'arrondissement ne confondent les patients médicaux et les autochtones sans-abri qui se retrouvent dans des refuges pour toxicomanes et sans-abri.

«La plupart des patients qui arrivent à Montréal ne sont pas en très bonne santé, alors ils n'ont pas la forme pour courir dans la ville et faire la fête», a affirmé Mme May.

C'est d'ailleurs parce que Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension est un quartier sûr qu'on cherche à y aménager le nouveau centre, a-t-elle ajouté. Car là où se trouve le principal établissement d'hébergement pour Inuits, à l'ouest de Notre-Dame-de-Grâce, certains patients ont été entraînés dans la drogue et la criminalité à cause des gangs de rue.

«Il y a une importante désinformation sur l'origine du projet, a convenu Caroline Farly, qui dirige le Projet autochtone québécois, un centre qui vient en aide aux autochtones sans-abri de Montréal. Ce sont des personnes qui ne devraient pas venir dans des ressources en itinérance.»

Mme Farly, qui habite le quartier Villeray depuis huit ans, estime que les préjugés sont à l'origine d'une bonne part de l'opposition.

Certains citoyens sont du même avis.

«J'ai eu peur quand j'ai reçu cette chose-là dans ma boîte aux lettres, a déclaré une citoyenne au conseil d'arrondissement. J'ai eu mal au coeur tellement c'est raciste, tellement c'est démagogique, tellement ça dit des choses épouvantables sur les Inuits.»

Rencontrée dans son appartement de la rue Drolet, Claudine Vachon regardait elle aussi le dépliant intitulé «Danger imminent» avec désolation.

«Je n'aime pas ce discours du "pas dans ma cour", a dit Mme Vachon, mère de deux enfants de 3 et 8 ans. Les Inuits ont eux aussi besoin de soins et, comme tout le monde, ils méritent d'être bien accueillis.»