Effet pervers de la décentralisation, selon les syndicats. Hausse des heures supplémentaires des pompiers impossible à limiter et indexation normale des salaires, réplique la Ville. Quoi qu'il en soit, le nombre de hauts salariés gagnant plus de 100 000 $ a littéralement explosé à la Ville de Montréal depuis 2003. De 149 cette année-là, il a plus que quadruplé en six ans et s'établissait à 626 en 2009, selon des documents que La Presse a obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le sommet a été atteint en 2008 avec 772 fonctionnaires gagnant plus de 100 000 $. Fait à noter, le nombre de hauts salariés gagnant plus de 150 000 $ a suivi une tendance similaire, passant de 16 employés en 2003 à 40 en 2009.

Le plus haut salarié de la Ville est le directeur général, dont la rémunération a atteint 296 014 $ en 2009. Suivent tous les directeurs de service, notamment ceux des affaires corporatives et des finances, des pompiers et des cadres affectés temporairement à un mandat spécial.

Chez les non-cadres, au sommet figurent un ingénieur (173 883 $ en 2009, 14e position) et deux huissiers de la cour municipale (152 028 $ et 149 959 $, 33e et 41e positions). Dans ces derniers cas comme pour les pompiers, les heures supplémentaires sont incluses, ce qui n'est pas le cas des cadres, qui ne sont pas payés pour ces heures.

Selon un tableau qu'a fourni la Ville, sur les 626 employés gagnant 100 000 $ et plus en 2009, 122 étaient des cadres de direction. Ils étaient 60 en 2003. Toujours en 2009, on trouve sur cette liste 205 cadres administratifs, 20 professionnels, 73 membres de l'état-major des pompiers et 166 pompiers. Toutes ces catégories ont vu leur nombre exploser depuis 2003 : on comptait alors 25 cadres administratifs, un professionnel, 27 membres de l'état-major des pompiers et 15 pompiers.

Le Service de police de la Ville de Montréal, ainsi que les directions des sociétés paramunicipales, ne figurent pas dans la compilation, leur rémunération faisant l'objet d'une comptabilité séparée.

Selon Jean-Yves Hinse, directeur du capital humain à la Ville, c'est d'abord une explosion des heures supplémentaires des pompiers qui explique qu'autant d'employés de la Ville gagnent plus de 100 000 $. En 2004, la nouvelle convention collective de ces employés contenait des dispositions «qui sont littéralement devenues des machines à faire des heures supplémentaires», explique-t-il. «C'est une situation anormale de trouver autant de pompiers gagnant plus de 100 000 $. Notre objectif, c'est de ramener ça à des proportions normales, trois ou quatre personnes à l'état-major, et aucun pompier.» Le budget des heures supplémentaires est passé de 12 millions en 2003 à 19,5 millions en 2007. Un rapport du vérificateur général a justement relevé ce problème en 2008. La Ville est toujours en arbitrage sur ces clauses.

L'autre élément est l'indexation prévue du salaire des cadres en fonction des échelles salariales. Selon M. Hinse, elle expliquerait «une grande partie» de cette explosion de salariés de plus de 100 000 $. Il note que le salaire médian des cadres de direction, par exemple, est passé de 93 825 $ en 2003 à 114 805 $ en 2009.

Cette explication ne tient toutefois pas la route quand on compare Montréal à l'ensemble du Québec. En 2003, 134 000 contribuables ont déclaré un revenu de 100 000 $ et plus au Québec. Selon les statistiques les plus récentes de Revenu Québec, ce nombre était de 171 318 en 2008, ce qui constitue une hausse de 27%. Pendant les mêmes années, à Montréal, on est passé de 149 à 772 employés gagnant 100 000 $ et plus, une hausse de 418%.

Même si on exclut les pompiers du calcul, on constate la même situation : de 2003 à 2008, on est passé de 107 salariés ayant franchi le cap des 100 000 $ à 423. La hausse est de 295%, de loin supérieure à ce qui s'est passé à l'échelle de la province.

Une ville «désorganisée»

Ces données viennent à point nommé pour le syndicat des cols blancs, qui a lancé la semaine dernière une campagne dénonçant la décentralisation exagérée de Montréal. L'explosion du nombre de hauts salariés, et du nombre de cadres de façon générale, est une conséquence directe du débat sur les défusions, estime la présidente du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal, Monique Côté.

«Pour plaire aux élus et pour conserver le plus d'arrondissements, le maire et le gouvernement Charest leur ont redonné l'ensemble ou presque de leurs pouvoirs ; c'est une aberration. C'est le contraire de ce que les autres villes qui ont fusionné ont fait.»

Le syndicat a calculé que la masse salariale chez les cadres et les contremaîtres avait augmenté de 86,4% de 2001 à 2006, passant de 94 à 177 millions. Selon le budget 2010, elle est de 282 millions cette année, ce qui constitue une hausse de 59% en quatre ans. «L'impôt foncier qu'on paie va dans des structures d'encadrement, ça ne donne aucun service de plus aux citoyens, estime Mme Côté. On a carrément créé 19 villes, on se retrouve avec une ville complètement désorganisée.»

Pendant que les hauts salariés voyaient leur nombre augmenter, le salaire des cols blancs a stagné et les effectifs ont décru, précise-t-elle. Entre 2003 et 2009, les cols blancs, comme l'écrasante majorité des employés, ont eu droit à deux années de gel salarial et à des hausses de 2% pour les cinq autres années.

Cette hypothèse de la hausse du nombre de cadres, le directeur du capital humain de la Ville ne l'accepte pas. «Je ne partage pas cette vision des syndicats, dit Jean-Yves Hinse. La structure des arrondissements s'est installée en 2001, je ne pense pas que ça ait beaucoup changé depuis, c'est resté relativement stable.» Il reconnaît cependant avoir peu de données actuellement sur l'évolution du nombre de cadres. «On a besoin d'une analyse fine que je n'ai pas encore obtenue.»

Pas d'économies d'échelle

Il a été impossible d'obtenir une entrevue avec le président de l'autre grand syndicat, celui des cols bleus. Dans un article publié sur le site internet du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, Michel Parent a dénoncé en mars 2009 la «multiplication des cadres et des appareils politiques» entraînée par les arrondissements. L'administration, évaluait-il, «souffre d'embonpoint». «On est dans une situation où il y a de plus en plus de chefs et de moins en moins de soldats, a estimé le président. Ce n'est pas ainsi que les contribuables en ont pour leur argent.»

Il y a deux semaines, le nouveau directeur général de la Ville, Louis Roquet, s'interrogeait lui-même sur les effets de la décentralisation et le dédoublement de certains services entre la ville centre et les 19 arrondissements. Dans un article publié dans Le Devoir, il considérait le fait que la Ville et les arrondissements aient chacun leur propre service d'achats comme «un non-sens». Il proposait également de regrouper certains services administratifs des arrondissements, comme les ressources humaines.

Une entreprise de la taille de la Ville de Montréal, avec ses 29 000 employés, devrait compter 300 employés en ressources humaines. Or, la métropole en compte 500, répartis entre l'administration centrale et les 19 arrondissements. «La structure actuelle nous empêche d'avoir des économies d'échelle sur le plan des ressources humaines, des finances ou de l'administration», a-t-il déclaré lors des travaux de la commission des finances.