«Honte et dégoût», «navire puant», «journal plus vide que gratuit»: le maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, a remis ça hier sur son blogue dans un texte d'une virulence inouïe à l'égard du Journal de Montréal.

Le quotidien montréalais, dont les locaux sont situés dans son arrondissement, est «sur le point de réussir un exploit: écraser ses artisans et survivre», écrit M. Ferrandez. «Quel triste jour.»

Mardi, 89,3% des quelque 200 lock-outés du Journal avaient rejeté les dernières offres patronales, que le syndicat a qualifiées d'«inacceptables». Le propriétaire, Quebecor, proposait de réembaucher un employé sur cinq et exigeait que les employés licenciés ferment le site Rue Frontenac et s'abstiennent pendant six mois de travailler pour son principal concurrent, La Presse.

«Je ressens dorénavant (...) de la honte et du dégoût à voir trôner au bout de la rue du même nom (...) le jounal de Moyéal (sic)», écrit le maire Ferrandez, de la formation Projet Montréal. Le politicien de gauche affirme avoir songé à déposer une motion au conseil d'arrondissement pour rebaptiser «ScabCity» le pâté de maisons où se trouve l'édifice du Journal. Une démarche inutile, ironise-t-il: «Je n'ai pas de doute que ce navire puant prenne la route pour s'installer sur un territoire plus anonyme et donc plus proche de sa vraie nature. Bon vent! Votre déménagement nous soulagera de la vue de votre nom.»

Pour le maire Ferrandez, le fait que Quebecor ait «perdu le lien solide entre le peuple et une entreprise locale et familiale» est un «changement de cap (...) bien pire que l'attaque de Maclean's contre le Bonhomme Carnaval.» Il s'en prend ensuite à la production de l'information au JdM, qui manifeste selon lui «le même mépris de la vraie information» que le magazine torontois. Il décrit en un trait lapidaire «la production d'une feuille de chou composée pour moitié de préjugés et pour l'autre de publicité».

«Il suffit dorénavant qu'un mercenaire rassemble quelques événements épars qu'il ne comprend pas lui-même, qu'un graphiste à la pige trouve une photo sur Internet pour laquelle elle ne paiera pas les droits et voilà l'article que des armées d'esclaves de la vente intercaleront entre les pages entières de mauvaise pub. Il sera le lendemain dans le journal plus vide que gratuit.»

Ce n'est pas la première fois que Luc Ferrandez suscite la controverse avec son blogue. Il a déjà traité les journalistes de «mangeurs de carrés aux dattes» qui gonflent des «non-nouvelles» ou écrivent des «nouvelles frelatées» et a qualifié les fonctionnaires du ministère des Transports «d'attardés sociaux».

Le maire Ferrandez s'attend à subir les foudres de l'empire Quebecor pour sa dernière sortie, «mais crache au visage de ceux qui ont vendu le patrimoine montréalais contre un plat de lentilles».

«Je sais que ces quelques lignes ne me vaudront pas une couverture médiatique amicale pour les 20 prochaines années, conclut-il. Mais j'en ai rien à crisser d'être dénoncé par les chacals.»

Au bureau de M. Ferrandez, on précise qu'il n'a rien à ajouter à ce qu'il a écrit. «Tout a été dit», affirme une porte-parole. Même son de cloche du côté de Quebecor, où le vice-président aux affaires corporatives et institutionnelles, Serge Sasseville, a annoncé que l'entreprise ne ferait aucun commentaire.

Des exigences «d'usage»

Quebecor a par ailleurs réagi hier matin en page 2 du Journal de Montréal au rejet massif de ses offres. Sous le titre «Toute la vérité sur les offres du Journal de Montréal à ses employés», on précise notamment que les 52 employés qui seraient réembauchés «bénéficieraient des meilleures conditions de travail dans l'industrie». Des 253 employés en lock-out, 22 ne seraient plus au service du quotidien, 7 reçoivent des prestations d'invalidité et 31 auraient droit à une retraite pleine d'ici à la fin de l'année.

On y détaille les salaires des plus hauts échelons, du chef de pupitre (99 632$) au commis (56 576$). Les indemnités de départ pourraient quant à elles, selon un mécanisme laissé à la discrétion du syndicat, représenter jusqu'à 200 000$ pour un chef de pupitre ou 144 000$ pour un journaliste.

Quant à la fermeture du moyen de pression que constitue Rue Frontenac et à l'interdiction de travailler pendant six mois chez le concurrent «le plus important», soit La Presse, on estime que c'est «d'usage en pareilles circonstances».