Sortant de sa réserve, le vérificateur général de Montréal, Jacques Bergeron, a carrément demandé hier aux élus de se rebeller contre la décision de lui retirer la gestion de la ligne éthique.

Dans une lettre lapidaire envoyée à tous les conseillers, M. Bergeron affirme avoir appris avec «stupéfaction» et «étonnement», le mois dernier, qu'on retirait à son bureau la responsabilité de cette ligne téléphonique. Mise sur pied le 14 décembre 2009, elle permet aux employés, fournisseurs et élus de la Ville de rapporter tout acte répréhensible dont ils auraient été témoins. Elle a permis 128 signalements jusqu'à maintenant,

Du côté de l'opposition, on a continué de dénoncer hier avec virulence cette décision. Louise Harel a demandé à l'administration Tremblay de faire marche arrière, tandis que Richard Bergeron y voit «la mort de cette ligne pour laquelle le téléphone ne sonnera plus».

Le vérificateur général estime quant à lui que lui retirer cette ligne de dénonciation pour la confier au contrôleur général Pierre Reid «va à l'encontre des pratiques actuelles des grandes villes canadiennes». Toronto, Ottawa, Calgary, Edmonton et Hamilton ont mis sur pied une ligne d'éthique relevant de leur vérificateur.

M. Bergeron énumère plusieurs arguments pour annuler cette décision. Il rappelle qu'il est le seul fonctionnaire de la Ville sur lequel le directeur général n'a pas autorité, comme le précise clairement la Loi sur les cités et villes. Contrairement au contrôleur général, il ne peut être contraint de faire une déposition et son mandat s'étend aux organismes paramunicipaux, comme la Société de transport de Montréal et la Société d'habitation et de développement de Montréal. «La véritable question tient en une seule phrase: quel est le réel motif (pour) poser un tel geste?» demande le vérificateur dans sa lettre.

Consigne de vote aux élus

Il rabroue par ailleurs le maire Gérald Tremblay qui, dans La Presse de vendredi dernier, assurait que «le vérificateur donnait tout le travail au contrôleur». Faux, rétorque M. Bergeron, statistiques à l'appui. Sur les 128 «signalements» obtenus depuis décembre 2009, seulement 14 ont été transférés au bureau du contrôleur, «afin d'éviter de dédoubler certaines expertises spécialisées». Le bureau du vérificateur conserve, même dans ces transferts, la direction des enquêtes, précise-t-il.

M. Bergeron termine sa missive en exprimant son «profond désaccord» quant à cette décision du comité exécutif, présidé par le maire Gérald Tremblay, et demande aux élus de ne pas l'entériner à la prochaine assemblée du conseil, le 13 décembre prochain. Un scénario bien improbable puisque le maire Tremblay détient la majorité des sièges, convient le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron. «Il risque d'y avoir des gens inconfortables dans l'arrière-ban, par contre», lance-t-il.

Le chef du deuxième parti d'opposition qualifie d'«inimaginable» le fait qu'une ligne de dénonciation puisse relever d'un fonctionnaire au sein de l'administration de la Ville. «C'est la mort de la ligne éthique. Le téléphone sonnera tellement peu souvent qu'elle ne servira plus à rien.» Il voit dans cette décision le «retour au bon vieux pattern de gouvernance» de Gérald Tremblay. «Après une année d'espoir, il revient à sa garde rapprochée hyperpuissante, où il concentre tous les pouvoirs.»

Pour la chef de Vision Montréal, Louise Harel, cette décision est «odieuse» et «sent la vindicte». L'économie de 1,6 million sur cinq ans évoquée par le maire ne tient pas la route, estime-t-elle. «La ligne d'éthique a été précisément mise sur pied pour signaler les dépenses exagérées ou frauduleuses. L'économie potentielle est bien aléatoire.»

À l'hôtel de ville, on assure que M. Reid dispose de toute l'indépendance nécessaire pour s'occuper de la ligne éthique. «Il se rapporte au comité de vérification, sur lequel notre administration n'est pas en majorité», a affirmé Bernard Larin, porte-parole du comité exécutif. C'est le comité de vérification, a-t-il rappelé, qui a fait plusieurs recommandations en novembre, dont celle sur le transfert de la gestion de la ligne éthique. Pierre Reid, précise-t-il, est à l'emploi de la Ville «depuis l'époque Drapeau» et il a notamment dirigé l'enquête sur les fraudes à la direction des services informatiques. «Il a démontré qu'il avait l'expérience pour s'occuper de ces dossiers-là», dit M. Larin.