Trois vérificateurs généraux désapprouvent clairement l'enquête menée en catimini par la Ville de Montréal sur Jacques Bergeron.

Ex-vérificateur de la Ville de Montréal, Michel Doyon dit n'avoir jamais rien vécu de tel durant son mandat de sept ans: «Peu importe les motifs, la Ville n'aurait jamais dû espionner le vérificateur général.»

Renaud Lachance, actuel vérificateur du Québec, estime que la Ville de Montréal a utilisé «des procédés qui normalement n'ont pas lieu vis-à-vis d'un vérificateur général».

Denis Desautels, qui a été vérificateur général du Canada de 1991 à 2001, est plus catégorique. Il juge «totalement inacceptable» la façon dont l'enquête a été menée: «C'est la mauvaise façon de faire. Ce ne sont pas ceux qui sont vérifiés par le vérificateur qui doivent mener une enquête. Ce sont les élus qui doivent contrôler le processus. Si on tolère une situation comme celle-là à Montréal, ça crée un précédent dangereux. À terme, ce sont les contribuables qui en paieront la note.»

Au fédéral, le vérificateur général relève directement des élus, soit la Chambre des communes. C'est le comité des comptes publics de la Chambre qui voit à la bonne marche de l'institution.

À Québec, le vérificateur général relève aussi des élus, plus précisément au président de l'Assemblée nationale. C'est à lui ou à la commission des affaires publiques d'ouvrir des enquêtes. Le vérificateur général ne peut d'ailleurs être démis de ses fonctions qu'avec un vote des deux tiers des députés.

Dans le cas des villes, le principe d'indépendance est le même, bien que la loi ne précise pas qui peut enquêter sur la gestion du vérificateur général, a précisé le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard.

Précédents

D'autres institutions ont aussi leur indépendance reconnue dans la loi. C'est le cas du Directeur général des élections et du Protecteur du citoyen, à Québec, comme du Commissaire à l'intégrité et du Commissaire à la protection de la vie privée, à Ottawa.

Denis Desautels ne se souvient pas qu'un vérificateur général ait pu faire l'objet d'une enquête. Par contre, il cite des précédents pour les commissariats à l'intégrité ou à la vie privée.

En 2007, une enquête a été menée sur les agissements de Christiane Ouimet, commissaire à l'intégrité du secteur public du Canada. L'enquête a été confiée à l'actuelle vérificatrice générale, Sheila Fraser.

Résultat: les plaintes contre Mme Ouimet étaient fondées; il a été démontré qu'elle injuriait et intimidait ses employés et qu'elle rejetait des dossiers trop rapidement, sans les avoir documentés. Christiane Ouimet a pris sa retraite l'automne dernier, avant le dépôt du rapport de la vérificatrice générale.

Autre exemple, le cas de l'ex-commissaire à la vie privée du Canada George Radwanski. Des allégations de fraude planaient sur lui en 2003 et c'est un comité parlementaire formé d'élus qui s'est penché sur ses dépenses (repas, vacances, voyages, etc.). L'homme a quitté son poste en pleine controverse, en 2003, et des accusations criminelles ont été portées contre lui en 2006. Il a finalement été acquitté en 2009, mais le juge lui a reproché sa négligence dans l'administration de ses dépenses.

Renaud Lachance rappelle de son côté le cas du protecteur du citoyen Daniel Jacoby. En 2000, c'est le Vérificateur général du Québec qui a enquêté sur M. Jacoby, et non les dirigeants du gouvernement. Daniel Jacoby avait été critiqué pour son administration laxiste.

En somme, de telles enquêtes doivent être menées par des représentants d'élus et non par des dirigeants du parti au pouvoir. Dans le cas de Jacques Bergeron, Denis Desautels croit que l'enquête aurait pu être confiée au Vérificateur général du Québec, par exemple.

En outre, les lois ne prévoient pas de sanctions lorsque des dirigeants au pouvoir enfreignent les règles d'enquête. «C'est aux élus de parler», dit M. Desautels, qui ne veut pas se prononcer sur ce que l'on reproche à M. Bergeron.