Moins de trois mois après avoir été congédié pour ses présumés liens de proximité avec des entrepreneurs, un ex-cadre de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles (RDP-PAT) a été embauché par un promoteur immobilier qui fait affaire avec l'arrondissement, a appris La Presse. La mairesse de RDP-PAT, pour qui cette situation pose un «grave problème d'éthique», demande à l'administration Tremblay de resserrer les règles d'après-emploi des cadres de la Ville de Montréal.

Laurent Gravel a été renvoyé le 7 décembre dernier à la suite d'une enquête menée par le bureau du contrôleur général de la Ville. Il occupait alors le poste de chef de division ingénierie au bureau d'études techniques de l'arrondissement RDP-PAT.

Selon sa lettre de congédiement, M. Gravel aurait participé à une réception au domicile d'un entrepreneur ainsi qu'à une soirée-bénéfice aux frais du représentant d'un entrepreneur. On lui reproche également d'avoir accepté des billets de hockey, des repas payés et d'avoir utilisé un lien électronique privilégié dans ses relations avec un représentant. La lettre n'indique toutefois pas de quelles entreprises et de quels individus il est question.

D'après nos informations, le bureau du contrôleur général a transmis le dossier à l'escouade Marteau de la Sûreté du Québec, chargée d'enquêter sur la collusion et la corruption dans le milieu de la construction.

Se disant victime d'une chasse aux sorcières, M. Gravel conteste aujourd'hui son renvoi. Il vient d'ailleurs de déposer une poursuite de 610 000$ contre la Ville de Montréal pour congédiement abusif.

Nouvel emploi

Selon plusieurs sources, M. Gravel travaille aujourd'hui pour Rescomdev 2009, promoteur du projet d'habitation Faubourg Pointe-aux-Prairies. Cet important projet immobilier prévoit la construction de 1185 logements dans l'arrondissement RDP-PAT d'ici à 2018. La valeur marchande de ce projet était évaluée, en 2009, à près de 430 millions, selon une analyse financière réalisée pour l'arrondissement.

Dans le cadre de ses fonctions, M. Gravel siégeait au comité de suivi du Faubourg Pointe-aux-Prairies, qui rassemblait des élus, des fonctionnaires et des citoyens ainsi que des représentants du promoteur et l'un des constructeurs du projet. Selon nos informations, il est aujourd'hui responsable du projet Faubourg Pointe-aux-Prairies à Rescomdev.

La mairesse de l'arrondissement RDP-PAT, Chantal Rouleau, s'inquiète des nouvelles fonctions occupées par l'ancien fonctionnaire.

«Du côté du promoteur, il est présenté comme le représentant du projet de construction (Faubourg Pointe-aux-Prairies). Ça cause un grand problème d'éthique, a-t-elle déclaré lors d'un entretien téléphonique. Cet employé connaît à fond l'arrondissement. Il possède de l'information sur nos projets, nos intentions, notre capacité d'agir et notre capacité financière. Il possède une information extrêmement sensible qui, normalement, doit demeurer à l'arrondissement et qui ne doit en aucun cas être utilisée pour servir les intérêts d'une entreprise avec laquelle nous faisons affaire.»

En tant que chef de division à l'ingénierie, M. Gravel était responsable de gérer la construction des services municipaux (réseau d'eau, égouts, construction de rues) pour tous les projets de lotissement de l'arrondissement, dont le Faubourg Pointe-aux-Prairies. «Il accordait des contrats à des entrepreneurs dans le cadre de nos projets de développement ainsi que les contrats de surveillance des travaux qui étaient exécutés par ces entrepreneurs-là», a expliqué Mme Rouleau.

Resserrer les règles

Selon les nouvelles règles d'éthique adoptées par la Ville de Montréal en novembre 2009, les anciens cadres n'ont pas le droit de «donner à quiconque des conseils fondés sur de l'information non disponible au public concernant la Ville de Montréal ou un tiers avec lequel il avait des rapports directs importants au cours de l'année qui a précédé la cessation de ses fonctions».

Une clause qui vise uniquement les anciens cadres de direction prévoit que les ex-fonctionnaires ne peuvent accepter, durant un an, un emploi au sein d'une entité avec laquelle ils ont eu des rapports officiels directs et importants. Or, M. Gravel était cadre administratif.

«À la lumière de ce qui se produit en ce moment, on croit sincèrement que cette règle devrait s'appliquer autant aux cadres de direction qu'aux cadres administratifs, a expliqué Mme Rouleau. À l'arrondissement, nous allons mettre en place un processus, mais on demande instamment à l'administration municipale d'inclure les cadres administratifs pour éviter de graves problèmes qui pourraient survenir dans notre arrondissement ou ailleurs au sein de l'appareil administratif de la Ville de Montréal.»

Du côté de la Ville, on a donné peu de détails sur cette affaire. Le porte-parole Gonzalo Nunez s'est limité à dire qu'un dossier avait été remis à la Sureté du Québec par le contrôleur général sans toutefois confirmer qu'il s'agissait de celui de Laurent Gravel. «Nous ne ferons pas d'autres commentaires sur ce dossier afin de ne pas nuire au déroulement de l'enquête», a-t-il affirmé.

M. Gravel a décliné notre demande d'entrevue.