Le plan choisi pour construire le pont Champlain, dans les années 50, était la solution la plus économique parmi 28 scénarios, révèle un des rapports de la firme d'ingénierie Delcan remis à Transports Canada.

On a retenu cette conception, à l'époque, parce qu'elle était la moins chère. Et c'est cette conception même qui fait que le pont le plus fréquenté du Canada ne pourra être restauré de manière à durer plus de 10 ou 15 ans, selon les experts.

Les rapports de la firme Delcan, produits en décembre dernier, concluent de plus que le pont Champlain ne répond pas à plusieurs normes de conception et de construction minimales pour assurer sa vocation d'infrastructure essentielle en cas de désastre naturel. Il n'a pas été conçu pour résister à une secousse sismique exceptionnelle et sa capacité de résistance à de forts vents latéraux, en cas de tornade ou d'ouragan, est qualifiée de «marginale». Enfin, il est perméable aux infiltrations d'eau et de sels de déglaçage, principales causes de sa dégradation avancée.

La Presse a rendu publiques, vendredi dernier, les conclusions de ces deux rapports commandés en août 2010 par la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain (PJCC) et remis à Transports Canada au début de cette année.

Selon les ingénieurs de Delcan, «les défaillances et les risques associés sont tels que le pont Champlain doit être remplacé par une nouvelle structure», et ce, le plus tôt possible. Dans son état actuel, il y a «un risque d'effondrement partiel du pont, ou même d'effondrement d'une travée», et sa gestion par les autorités fédérales commande «une vigilance extrême».

Pour arriver à ces conclusions, les ingénieurs de Delcan, firme spécialisée dans les grandes infrastructures de transport fondée en Ontario il y a plus de 50 ans, a examiné une foule de documents sur la conception de l'ouvrage, les étapes de sa construction et l'historique des travaux de réfection, de même que des rapports d'inspection récents de ses trois sections principales.

Construction rapide

Ces trois sections du pont ont été construites très rapidement. Selon Delcan, les contrats de construction ont été attribués en juin 1959 et le pont a été inauguré à peine trois ans plus tard, en juin 1962. On a choisi ce concept parce qu'il était à la fois peu coûteux et relativement simple à construire. Par contre, des détails de conception prévus à l'époque et le fait qu'on ne connaissait pas encore les propriétés corrosives des sels de déglaçage expliquent en grande partie les détériorations avancées qu'on observe aujourd'hui sur les poutres de béton et les câbles d'acier qui assurent la stabilité et la solidité de l'ouvrage.

Le système de drainage du pont favorisait ainsi l'évacuation des eaux le long des poutres extérieures, sous les voies de droite. De même, la conception des joints de dilatation originaux du pont permettait l'accumulation des eaux gorgées de sels sur le sommet des piles du pont. Or, c'est précisément sur ces deux éléments (poutres extérieures et têtes de piliers) qu'on observe aujourd'hui les déficiences les plus critiques pour l'intégrité de l'ouvrage.

Les joints de dilatation ont été remplacés et un système de drainage plus efficace a été implanté sur le pont, au milieu des années 90, mais les dommages aux structures étaient déjà considérables. À titre d'exemple, révèle le rapport, les poutres extérieures sont en si piteux état que les gestionnaires du pont ont songé un moment à les remplacer. Après étude, cette possibilité s'est toutefois avérée impossible à réaliser parce que les deux poutres extérieures et les cinq autres poutres longitudinales qui composent la structure du tablier sont unies les unes aux autres par des câbles d'acier qui assurent la stabilité de l'ouvrage.

De plus, tous les éléments structuraux qui composent et soutiennent le tablier de béton sont interdépendants de telle sorte que l'intégrité de l'ensemble de la structure pourrait être compromise par la déficience d'un seul de ces composants. Le remplacement des deux poutres extérieures, les plus détériorées, aurait donc été impossible puisqu'il aurait fallu couper les câbles d'acier qui les retiennent aux autres poutres et qu'une partie du tablier aurait alors été privée de soutien.

Réparations coûteuses

La semaine dernière, les autorités fédérales ont annoncé des investissements de 158 millions de dollars en 3 ans pour réparer les infrastructures du «couloir du pont Champlain». Ces sommes s'ajoutent aux 212 millions déjà consentis à un programme de réfection de 10 ans, en cours depuis 2009.

Les experts de Delcan estiment que ces efforts suffiront à prolonger la vie du pont jusqu'à la fin de la présente décennie. Au-delà, estiment-ils, «la presque totalité de la superstructure devrait être reconstruite pour éliminer les détériorations du béton causées par les sels de déglaçage» si on souhaite allonger la vie du pont de 50 ans au lieu d'en construire un nouveau.