Après deux ans à observer l'ennemi, Montréal a officiellement déclaré la guerre ce matin aux punaises de lit.

Ces insectes suceurs de sang, qui ont envahi des dizaines de milliers de résidences sur l'île depuis 2008, font maintenant l'objet d'un vaste «plan d'action régional» impliquant notamment la Ville, les arrondissements, les autorités sanitaires et les associations de propriétaires et de locataires.  Concrètement, on mettra sur pied un «observatoire centralisé», un registre dans lequel seront consignées toutes les interventions des exterminateurs, qui seront dorénavant à déclaration obligatoire. Les inspecteurs municipaux auront la responsabilité de détecter ces bestioles lors de leurs interventions dans des logements. L'envoi aux ordures des matelas - gros vecteurs d'infestation - sera plus sévèrement encadré par les arrondissements. La Ville et la Direction de la santé publique se donnent en outre le mandat de mieux documenter l'infestation, de trouver les meilleures méthodes d'éradication et d'informer les Montréalais.

«Nos actions ont tout le potentiel pour réduire l'infestation, estime Michael Applebaum, vice-président du comité exécutif de Montréal responsable de l'habitation. La lutte commande un effort collectif, mais surtout coordonné. Ce n'est pas un fléau exclusivement montréalais: c'est tout le Québec qui va profiter de notre expertise.» Aucun budget supplémentaire n'a été annoncé, M. Applebaum estimant que les ressources actuelles devraient suffire à la mise en oeuvre de ce plan d'action. Les deux principales mesures, le registre et l'obligation de déclarer les infestations, devraient être mises en place dès juin prochain.

Un adversaire résistant

Selon un sondage réalisé en 2010 par la santé publique, près de 3% des ménages montréalais - soit 40 000 personnes - auraient eu des punaises de lit dans les 12 derniers mois. Il ne s'agirait cependant que de la pointe de l'iceberg selon la plupart des experts, le phénomène ayant tendance à être sous-déclaré. «Les punaises peuvent entraîner des problèmes de santé physique et mentale, dit le Dr Richard Lessard, directeur de santé publique. La honte peut inciter les gens à s'isoler, tandis que d'autres peuvent utiliser des insecticides dangereux pour leur santé.»

La principale cause de cette infestation, qui touche en fait des régions entières de l'Amérique du Nord, c'est la résistance des punaises de lit aux insecticides utilisés par les exterminateurs. La DSP aura le mandat de mener des projets pilotes pour développer des méthodes efficaces, surtout dans les cas d'infestations persistantes. «Les techniques doivent être raffinées, dit le Dr Lessard. C'est pour ça qu'on prône une certification spécifique des exterminateurs.»

L'annonce du plan d'action a été plutôt bien accueillie par le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), notamment la mise sur pied du registre, demandée depuis belle lurette. «C'est tardif, mais mieux vaut tard que jamais, dit France Émond, porte-parole. La déclaration obligatoire, c'est également un bon départ.»

L'organisme déplore cependant l'absence de fonds supplémentaires liés au plan. «J'ai demandé un millier de dépliants d'information pour les distribuer aux locataires, on m'a dit 'Désolé, il n'y a pas assez de budget', rapporte la porte-parole. On manque déjà d'inspecteurs pour la salubrité: si on n'ajoute pas des fonds, on ne pourra pas agir.» On souhaite également que la Ville puisse intervenir et aller jusqu'au bout quand un propriétaire récalcitrant refuse de faire appel aux exterminateurs. Enfin, on demande qu'un protocole «uniforme» soit adopté pour l'éradication de ces parasites.

«30 000 clochards» à aider

Conseiller du parti de l'opposition Projet Montréal, Carl Boileau, lui-même ex-exterminateur, fait la même demande. Il estime que l'incompétence de certaines entreprises est «le nerf de la guerre». «C'est tellement complexe, s'attaquer aux punaises de lit. Beaucoup d'exterminateurs s'improvisent spécialistes, c'est n'importe quoi.» Une intervention réussie, précise-t-il, doit comporter trois visites, deux pour le traitement, une pour l'inspection.

Pour arrêter le fléau, il est important de «faire le travail correctement», explique Harold Leavey, des Entreprises Maheu Extermination. «Il n'y a pas de produit miracle. Il faut vérifier les logements voisins, être minutieux. Les gens doivent être bien informés: il faut rapporter l'infestation rapidement, ce n'est pas une honte. Mais souvent, les locataires ont peur de se faire mettre dehors de leur logement.»

Un des aspects méconnus du problème, c'est l'intervention auprès des sans-abri, estime le professionnel. «Il faut aider les refuges. Il y a 30 000 clochards à Montréal, ils se retrouvent dans les métros, les bibliothèques, et il y a de plus en plus d'institutions qui sont infestées.»