Le jour de son 21e anniversaire, Everiste Blaize est allé à l'église. Il a allumé un cierge et s'est mis à prier. «Je voulais remercier Dieu d'être encore en vie, dit-il aujourd'hui. Parce que j'aurais vraiment pu virer autrement. J'étais dans le mauvais chemin. On volait. Beaucoup de mes amis sont morts.»

Quinze ans plus tard, M. Blaize est plus en vie que jamais. Non seulement gagne-t-il sa vie comme patron d'un salon de coiffure et promoteur d'événements, mais il est depuis deux semaines le nouveau président de la Carifête. Pour cet ancien délinquant des ghettos de Cartierville, devenu leader de la communauté caribéenne, c'est ce qu'on pourrait appeler un improbable dénouement.

«Je dois dire que ce n'était pas écrit dans le ciel», admet ce géant à dreadlocks, du haut de ses 6 pieds et 6 pouces.

Originaire de l'île de Sainte-Lucie, Everiste «Traxx» Blaize est arrivé au Québec à 8 ans, pour rejoindre ses parents. La Carifête, dit-il, reste un rare bon souvenir de sa «jeunesse difficile». Mais depuis quelques années, résultat de querelles internes, d'une gestion douteuse et d'une désorganisation chronique, le défilé n'était plus que l'ombre de lui-même. C'est dans l'espoir de lui redonner du lustre qu'il a rejoint les rangs de la CCFA (Caribbean Cultural Festivities Association), l'organisme qui gère l'événement depuis 1994.

Mais la chose s'est avérée plus compliquée que prévu. Une seconde organisation, la MCDF (Montreal Carnival Development Foundation), voulait aussi mettre la main sur la Carifête. Pendant presque trois ans, les deux parties se sont livré une guerre sans merci dans les médias et devant les tribunaux sous l'oeil passif de la Ville. En 2009, incapable de trancher, celle-ci a fini par donner les clés du défilé conjointement aux deux groupes rivaux, avant de l'annuler complètement en 2010.

Dans la communauté, tout le monde s'entend pour dire que l'administration Tremblay a erré dans le dossier et que cette mollesse n'a fait qu'accentuer le problème. «Les bureaucrates ont voulu ménager la chèvre et le chou», affirme le fondateur du Black Theatre Workshop, Clarence Bayne, personnalité influente du Montréal caribéen. «Pourquoi? Je vous le demande. Sans doute les élections qui s'en venaient...» Egbert Gaye, rédacteur en chef du journal Community Contact, est plus sévère. Selon lui, l'annulation du défilé constitue carrément un impair municipal: «La Carifête est une des rares institutions qui nous appartiennent. En nous la retirant, c'est comme si on nous prenait pour des enfants. La communauté s'est sentie dépossédée et marginalisée.»

À la décharge de la Ville, le dossier était loin d'être simple. Il faut savoir que la MCDF était née de la cuisse de la CCFA, ce qui rendait la coupure moins évidente. D'autant plus que cette nouvelle organisation prétendait être le «prolongement» officiel de l'ancienne, ce qui a donné bien des maux de tête aux fonctionnaires. Il aura fallu le verdict de la Cour supérieure, à la mi-mars, pour que les choses se clarifient et que le Bureau des festivals finisse par trancher pour de bon en faveur de la CCFA.

Pression et vision

Pour Egbert Gaye, il est clair que le plus gros défi des nouveaux organisateurs sera de «raviver l'intérêt» dans la communauté. «Toute cette histoire a laissé des bleus», dit-il. Des camps se sont formés. Des amitiés se sont brisées. Et à la longue, plusieurs se sont désintéressés de la Carifête.

Everiste Blaize admet de son côté que la pression est énorme. Et qu'il faudra beaucoup pour rétablir l'image de l'événement. Mais le mandat ne lui fait pas peur. «Maintenant que la crise est passée, les gens vont revenir», dit-il. Avec son équipe de jeunes professionnels rompus au monde des affaires, le nouveau président de la CCFA a élaboré un ambitieux plan de cinq ans, qui devrait rendre le défilé économiquement viable et culturellement incontournable. «Plus de commandites, plus de transparence, plus de participants et surtout, plus d'ouverture aux autres communautés, lance l'armoire à glace de 36 ans. Nous y allons avec un regard neuf. Et inclusif.»

M. Blaize ne cache pas qu'il aimerait un jour rivaliser avec la somptueuse Caribana de Toronto, qui attire bon an mal an entre 1 et 2 millions de personnes. Mais il reste lucide: la priorité est de redéfinir et de consolider les bases.

«La Carifête était morte. On la ressuscite. Mais on est réalistes et on y va un an à la fois. Commençons par faire nos preuves cet été. Après on verra...»

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Conflit d'horaire à l'antillaisse

Tout indique que la 36e Carifête aura lieu le 9 juillet. Pour le meilleur et pour le pire, le Jamaica Day aura lieu le même jour au parc Jean-Drapeau. La Ville aurait-elle dû caser les deux événements à des dates différentes? «Ça peut avoir du bon. Le public de la Carifête pourra débarquer chez nous après le défilé. Mais il faudra que la Ville augmente la sécurité en conséquence», répond Brian Smith, organisateur du Jamaica Day. Egbert Gaye, du journal Community Contact, n'est pas de cet avis: «Ces deux événements n'ont rien à voir. Si on a passé une bonne Carifête, on ne veut pas aller ailleurs après. On veut aller chez soi, dormir et ressortir plus tard le soir. En mettant les deux fêtes le même jour, il y a forcément des gens qui vont faire des compromis. Pour la Ville, c'était plus facile d'un point de vue logistique. Je comprends. Mais c'est quand même un manque de respect.»