Formée il y a deux mois, l'Unité permanente de lutte contre la corruption vient de recevoir son premier mandat du ministre de la Sécurité publique. Robert Dutil a annoncé hier qu'il lui demandait d'enclencher une enquête sur l'ensemble des allégations touchant l'administration de la Ville de Montréal.

L'annonce n'a pas satisfait l'opposition péquiste. À l'Assemblée nationale, tout de suite après, Pauline Marois a souligné sa «tristesse» devant la situation de Montréal, et blâmé le premier ministre Charest pour l'inaction du gouvernement. «Il est incapable d'assumer le leadership. Il nous annonce ce matin l'envoi de l'unité anticorruption. Pourquoi éviter l'enquête publique, la seule voie raisonnable et responsable?» a demandé Mme Marois. Plus tard, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, piqué au vif par l'annonce de Québec, a donné des munitions à l'opposition, réclamant lui aussi une enquête sur la collusion dans l'industrie de la construction. Pour Mme Marois, il y a actuellement cinq enquêtes majeures de la SQ sur la Ville de Montréal, en plus de celle annoncée hier: «Ça n'a aucun sens, la seule vraie enquête, c'est l'enquête publique», a-t-elle lancé.

«La situation est sans précédent, on parle de crise, de cirque, de désaveu et de vaudeville (dans les journaux), pourquoi refusez-vous l'enquête publique que réclame la Ville de Montréal elle-même?» a lancé la chef péquiste.

Méthodes controversées

Les méthodes controversées comme l'ouverture des courriels des élus seront vérifiées par les limiers de l'escouade tout comme les allégations d'irrégularités dans l'attribution des contrats, a expliqué M. Dutil en point de presse hier.

«Nous prenons ces situations très au sérieux. Sur ces questions, le gouvernement agit avec beaucoup de célérité», a soutenu le premier ministre Charest à l'Assemblée nationale.

Pour le ministre Dutil, «les allégations des derniers jours ne sont pas acceptables. Nous ne pouvons tolérer l'affaiblissement d'une institution comme la Ville de Montréal». Le maire Tremblay n'a pas été informé à l'avance de cette annonce, a précisé M. Dutil en matinée. Plus tard, Gérald Tremblay, irrité, qualifiait «d'inacceptable» cette façon de faire. Au cabinet du premier ministre Charest, on n'a pas voulu commenter davantage.

«Il y a une inquiétude profonde sur ce qui se passe à la Ville de Montréal», a résumé M. Dutil, rappelant que les allégations se multipliaient sur la «corruption» dans l'administration de la Ville. «C'est un mandat général», a-t-il indiqué, soulignant qu'il n'avait pas voulu restreindre le champ d'intervention de l'escouade dirigée par son ancien sous-ministre, Robert Lafrenière.

Ce groupe, qui n'est pas encore complet, compte déjà une centaine de personnes sur les 189 qu'il doit accueillir, a précisé M. Dutil. Ce dernier n'a pas d'inquiétude quant à la possibilité de trouver les procureurs de la Couronne nécessaires à la bonne marche des opérations. Ils ont actuellement la capacité de mener ce genre d'enquête, selon le ministre. Pour Jean-Marc Fournier, ministre de la Justice, les moyens de pression des procureurs ne seront pas un obstacle. L'escouade a le mandat de procéder «dans les meilleurs délais» à son enquête, et le commissaire sera tenu de rendre publics ses constats, a insisté M. Dutil. «Il peut dévoiler ce qui peut l'être, il ne peut dévoiler ce qui peut nuire aux enquêtes», a précisé M. Dutil. Pour lui, cette décision illustre l'avantage de l'unité anticorruption.

Dans son mandat, le patron de l'escouade doit «coordonner les enquêtes relativement aux allégations concernant des irrégularités commises dans le cadre de l'administration de la Ville de Montréal, plus particulièrement en ce qui a trait à l'octroi de contrats, notamment en matière de sécurité privée».

Il doit aussi fouiller les «enquêtes administratives conduites par le contrôleur général de la Ville et (les) moyens qui auraient été utilisés à cette fin, notamment l'interception de communications», a indiqué hier le ministre Dutil.

La lettre d'explications du maire Tremblay au ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a soulevé davantage d'interrogations hier. Le maire soutenait: «Je vous confirme de nouveau qu'aucun élu ou membre du personnel politique n'a fait ou ne fera l'objet d'une revue administrative de ses courriels, ou de ses appels téléphoniques.» Pourtant, publiquement le maire Tremblay avait reconnu que des courriels avaient été ouverts.

Le ministre Lessard a demandé à son sous-ministre Marc Lacroix d'élucider le mystère, a expliqué Antony Dulude, son porte-parole.