Ce n'est pas un problème de corrosion ou d'usure du béton qui a forcé le ministère des Transports à réduire d'urgence la circulation vers l'ouest sur l'échangeur Turcot, le 15 avril dernier. Les firmes mandatées pour surveiller l'ouvrage ont constaté un problème de structure sérieux en sondant les caissons de béton, a appris La Presse, de sources sûres. Un problème de réalisation et non de conception; par rapport aux plans, on a constaté que l'armature prévue au moment de couler le béton était en partie absente. C'est un problème du genre qui avait, en 2007, entraîné l'effondrement du viaduc de la Concorde à Laval - l'armature de béton était présente, mais dans ce cas n'avait pas été placée correctement pour contribuer à renforcer l'ouvrage. L'effondrement survenu le 30 septembre 2006 avait fait cinq morts et six blessés.

Dans le cas de Turcot, on ne trouve pas suffisamment d'armature d'acier dans un segment de béton de la bretelle où la circulation a été réduite.

Cette réalité est fort différente des explications fournies par Transports Québec, il y a deux semaines. Le MTQ disait alors que les ingénieurs chargés de surveiller, d'inspecter et d'entretenir l'échangeur avaient constaté récemment «certains dommages à la structure» de cette bretelle routière, et notamment des fissures dans le béton de l'ouvrage, selon Mario Saint-Pierre, le porte-parole du Ministère. Selon lui, «les performances du béton n'étaient pas à la hauteur des attentes» des ingénieurs du consortium SNC/Cima+/Dessau, qui veille sur la santé de cet échangeur décrépit.

Le vice d'une époque

«Le béton n'est pas en cause, le problème, c'est la charpente d'acier... il en manque...» a confié sans détour une source sûre à La Presse. La structure a résisté pendant 40 ans, mais conjuguée à la dégradation due au gel et aux sels de déglaçage, cette faiblesse constatée forçait une intervention aussi urgente qu'embarrassante pour les milliers d'automobilistes qui empruntent cette voie.

Ce constat n'est pas unique, dans la frénésie de construction des années 60 et 70, «les travaux se faisaient vite, et pas toujours avec la surveillance nécessaire», a-t-on expliqué par ailleurs. La commission présidée par Pierre Marc Johnson avait bien mis en lumière ces lacunes. Les problèmes bien connus de corrosion et d'usure du béton n'ont fait qu'ajouter à la précarité de l'ouvrage. Pour tenir compte de la capacité réduite de charge, il y a deux semaines, le Ministère a réduit de deux à une seule voie la circulation de la bretelle 720-20, une fermeture qui durera plusieurs mois.

Depuis plusieurs années, le consortium SNC/Cima+/Dessau a un contrat d'environ 10 millions de dollars par année pour littéralement ausculter l'ouvrage quotidiennement. La décision de réduire la circulation a été prise au niveau technique, par le bureau de Montréal du ministère. Les firmes avaient constaté des fissures à un caisson qui n'avait pas été ouvert jusqu'ici et c'est à ce moment que des tests ont été réalisés. Turcot est construit en segments, «par caissons». Des sources au Ministère précisent qu'un seul segment est problématique sur cette bretelle.

La semaine dernière, en commission parlementaire pour discuter des crédits de son Ministère, le ministre des Transports, Sam Hamad, un ingénieur, avait soigneusement choisi ses mots pour expliquer que les firmes «avaient constaté des failles importantes dans la bretelle de la 720». Comme «il n'y a pas de compromis à faire avec la sécurité», la circulation a été diminuée, avait dit le ministre. Déjà il avait pris soin de parler de «failles» sans montrer du doigt l'usure du béton ou la corrosion due au temps. «On n'a pas le choix, on ne peut mettre en danger la sécurité des citoyens, c'est un cas urgent pour le Ministère. Il faut renforcer la structure en place», avait expliqué M. Hamad.

Compte tenu de leur importance, personne ne veut préciser combien de temps dureront les travaux sur cette bretelle 720/20. Les véhicules circulent sur une seule voie balisée au centre de la structure, au lieu des deux voies habituelles. Le 15 avril, cette bretelle et deux autres avaient été carrément fermées à la circulation, une décision annoncée un vendredi, manifestement en urgence. Dès le premier jour, le Ministère parlait de «quelques mois, au minimum» avant que la circulation normale ne puisse être rétablie.

Plus gros carrefour

Inauguré en 1967, l'échangeur Turcot est le plus gros carrefour autoroutier de la métropole. Près de 300 000 véhicules empruntent chaque jour l'une ou l'autre de ses 13 bretelles en béton qui relient entre elles les autoroutes A15, A20 et A720, dans le sud-ouest de Montréal. Et selon des données du MTQ, plus de 40% de ses usagers l'utilisent durant les périodes de pointe du matin et du soir.

L'échangeur est en fin de vie utile. Depuis plusieurs années, ses piliers et ses travées surélevées sont recouverts de filets d'acier pour empêcher les éclats de béton de tomber sur les véhicules et sur les gens qui circulent sous les structures.

La «bretelle 720-20» est utilisée chaque jour par des dizaines de milliers d'automobilistes qui roulent vers l'ouest de l'île, par l'autoroute 20, en provenance du centre-ville de Montréal. Par conséquent, il s'agit d'un des axes de circulation privilégié des banlieusards de la région de Vaudreuil-Dorion ou des résidants des municipalités et arrondissements de l'ouest ou du sud-ouest de l'île de Montréal, en fin d'après-midi.

La bretelle rétrécie se trouve aussi sur le tracé de la principale route entre l'aéroport international Trudeau, à Dorval, et le centre-ville de Montréal.

Sa fermeture, même partielle, entraîne des embouteillages importants, qui devraient s'étirer «en amont de l'échangeur». Les automobilistes ont été incités à trouver des chemins différents pour arriver à bon port.