Le maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, a l'intention de maintenir les mesures d'apaisement de la circulation mises en place dans son arrondissement il y a deux semaines, malgré des effets indésirables dont l'ampleur a largement dépassé les prévisions dans certaines rues.

Au lendemain d'une assemblée publique orageuse, mardi soir, où on l'a traité de tous les noms, le maire Ferrandez a affirmé hier que d'autres mesures seront implantées pour résoudre les problèmes induits par les changements de direction imposés récemment dans les avenues Laurier et Christophe-Colomb. Les mesures qui visaient à éloigner la circulation de transit des rues du Plateau ont plutôt créé des embouteillages inextricables dans les rues voisines.

Déplacer le problème

Des caméras ont été installées aux endroits les plus critiques pour compter les véhicules et pour observer le comportement des conducteurs. Pour le moment, affirme le maire, «on attend, on observe, et on va agir de nouveau». Il s'agira de réduire ces effets indésirables sur les résidants locaux et de convaincre les automobilistes d'emprunter les grandes artères qui traversent le Plateau plutôt que ses étroites rues locales.

La Presse a consulté hier l'ingénieur Ottavio Galella, de la firme Trafix, spécialiste renommé en gestion de la circulation, qui estime toutefois que ces nouvelles mesures pourraient elles-mêmes entraîner d'autres impacts imprévus, qui «déplacent les problèmes d'une rue vers une autre» au lieu de réduire la circulation de transit.

M. Galella, qui observe depuis 30 ans la circulation dans la métropole, croit qu'on aurait dû agir «en amont» des secteurs résidentiels, sur le réseau artériel de la ville, pour canaliser la circulation de transit vers les artères qui traversent le Plateau, comme la rue Saint-Denis et l'avenue Papineau.

En intervenant au coeur même du quartier, dit-il, l'arrondissement risque de compliquer la vie de ses résidants - qui ont besoin, eux aussi, de se déplacer - et d'induire des comportements nerveux ou agressifs chez les automobilistes en transit incapables de s'extirper des méandres de la circulation.

630 000 véhicules par jour

Le Plateau-Mont-Royal est l'un des arrondissements les plus densément peuplés de Montréal. Plus de 100 000 personnes y vivent. Sa situation géographique, juste au nord du centre-ville, entraîne une forte circulation de transit. Selon le maire Ferrandez, pas moins de 630 000 véhicules circulent chaque jour dans les rues du Plateau. Et ce nombre augmente chaque année de plusieurs dizaines de milliers de véhicules. La situation devient de plus en plus invivable. L'arrondissement a donc mis au point un ensemble de mesures pour restreindre la circulation dans ses rues. Les premières qui ont été mises en place, à la mi-mai, visaient à régler les problèmes jugés plus préoccupants. L'avenue Laurier a été convertie en sens unique vers l'est entre le boulevard Saint-Laurent et la rue de Mentana, et l'avenue Christophe-Colomb, empruntée chaque jour par 8000 automobilistes en direction du centre-ville, a été convertie en sens unique vers le nord entre le boulevard Saint-Joseph et l'avenue Laurier.

La réaction a été instantanée. Des milliers d'automobilistes qui utilisaient quotidiennement l'avenue Christophe-Colomb se sont «déportés» vers la première rue qui permet encore de prendre la direction du centre-ville, la rue Chambord. Le matin, les véhicules y forment de longues files qui se résorbent lentement en raison du feu de circulation de l'intersection suivante. Les résidants de cette petite rue, qui n'avaient jamais vu de telles processions quotidiennes, sont furieux, tout comme les automobilistes, qui y perdent un temps fou.

Effets cumulatifs

«Je comprends la réaction des gens, qui sont très inquiets de voir la circulation augmenter dans leur rue, a dit hier M. Ferrandez à La Presse. C'est leur milieu de vie qui est touché, et c'est ce qui fait le plus mal. Mais il faut distinguer les effets temporaires des impacts permanents. Actuellement, environ 26 000 automobiles par jour qui circulent rue Saint-Urbain sont détournées vers l'avenue Laurier à cause d'un chantier de construction au coin du boulevard Saint-Joseph. Il est impossible de distinguer les effets de nos mesures, qui sont permanentes, des effets temporaires provoqués par le chantier», ouvert au début de cette semaine.

Selon lui, les impacts des nouvelles mesures ont été «minimes» sur la circulation de la rue Saint-Denis, et imperceptibles sur l'avenue Papineau. Le maire Ferrandez estime donc que les automobilistes qui sont restés pris une ou deux fois dans les bouchons du Plateau éviteront peu à peu les rues locales pour emprunter ces artères. Mais ces nouvelles habitudes peuvent mettre du temps avant de se confirmer, souligne-t-il.

Pour l'ingénieur Ottavio Galella, le fait qu'on n'ait pas constaté d'effet sur ces artères est, en soi, un indice que les mesures d'apaisement ne marchent pas. «Il faut beaucoup de courage politique de la part des élus de l'arrondissement pour tenter de réduire la circulation automobile, il faut bien le reconnaître. Mais on ne peut pas gérer le trafic avec du courage», ajoute-t-il en riant.