Des VTT et des motomarines ont-ils leur place dans un parc public? C'est la question que posent plusieurs citoyens alors que le parc René-Lévesque, à Lachine, accueille jusqu'à dimanche une piste d'essai pour les véhicules de BRP.                                

Le parc René-Lévesque, au bord du Saint-Laurent, à Lachine, est habituellement calme. Si calme que la Ville a choisi d'installer dans cette presqu'île l'une de ses plus grandes collections d'art public. Les 22 sculptures se trouvent tout autour de l'arboretum et de ses 70 espèces d'arbres. Le lieu, fréquenté par des centaines de marcheurs, de joggeurs et de cyclistes, est un joyau.

Mais mardi, le petit coin paisible avait des airs d'autodrome. Des dizaines de véhicules tout-terrain (VTT) sillonnaient une piste aménagée en plein milieu du parc. Les moteurs rugissaient. Les pneus laissaient des ornières dans le gazon. Les habitués du parc n'en revenaient tout simplement pas.

«Je viens marcher ici tous les jours parce qu'il n'y a pas de pollution et parce que c'est calme, se désolait une native de Lachine, Diane Choquette, 64 ans. Là, il y a de la pollution et du bruit comme ce n'est pas possible. C'est déplorable.»

Le parc René-Lévesque accueille jusqu'à dimanche une piste d'essai pour Bombardier Produits récréatifs (BRP). L'entreprise québécoise tient cette semaine la plus grande foire commerciale de son histoire et s'attend à recevoir 4000 invités de 80 pays.

L'arrondissement de Lachine a accepté de louer à l'entreprise une partie du parc, qui est baigné sur trois côtés par le fleuve. BRP propose à des concessionnaires de partout dans le monde d'essayer ses nouveaux produits: des VTT, mais aussi des motomarines, amarrées à une dizaine de quais temporaires sur les berges du parc.

Une piste de terre d'environ 1 km a été aménagée sur la pelouse. Elle passe à quelques mètres des sculptures du parc, qui ont été protégées par des clôtures.

Impossible de savoir combien de personnes vont circuler en VTT sur la piste durant la dizaine de jours que dure l'activité. Chose certaine, en deux heures, mardi, La Presse en a vu au moins une quarantaine. Le nombre d'utilisateurs pourrait augmenter de façon exponentielle pendant la fin de semaine, lorsque l'entreprise ouvrira les lieux au public, invité à essayer ses VTT.

«Incroyable et excitant»

«C'est incroyable et excitant, a dit Ram Uziel après avoir fait l'essai d'un VTT. Je fréquente beaucoup d'événements de ce genre, mais celui-là est vraiment exceptionnel.» Le concessionnaire de BRP est venu directement d'Israël pour participer à la foire commerciale.

Mais Joël Bourdeau, 72 ans, cycliste habitué du parc, n'était pas aussi enthousiaste. Selon lui, l'élu qui a permis à BRP de faire rouler des VTT dans le parc «est un imbécile».

«Il s'agit d'un musée en plein air, avec des sculptures, et ils sont en train de massacrer tout ça avec des quads, a-t-il déploré. Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas d'autre endroit pour faire ça. Ils auraient pu trouver un champ, faire ça dans le Stade olympique, je n'en sais rien. Ça n'a pas de sens, dans un parc, dans un musée en plein air. Je trouve ça absolument abominable.»

L'entreprise assure toutefois que le parc sera remis en état. «Pour nous, ce n'est rien de nouveau comme événement, on en a fait un peu partout dans le monde, a expliqué le vice-président communications et affaires publiques de BRP, Pierre Pichette. Chaque fois, on prend un terrain et on le remet tel qu'il était au départ.»

Selon M. Pichette, l'arrondissement de Lachine était «très content» de recevoir BRP. «Il n'est pas question de s'imposer», dit-il.

Selon lui, les oeuvres d'art ne sont pas menacées. «Les gens de Lachine nous reçoivent à bras ouverts. J'ai été sur le site moi-même et toutes les pièces ont été protégées, toutes les pièces ont été entourées de clôtures, il y a très peu de risque qu'elles soient endommagées. Donc, c'est d'un commun accord avec la Ville, on n'a forcé personne à nous recevoir.»

Le rayonnement de Lachine

Il a été impossible de parler mardi au maire de l'arrondissement, Claude Dauphin, d'Union Montréal. Mais une porte-parole s'est voulue rassurante. Selon Lucie René, BRP s'est engagé à remettre les lieux en état d'ici au 20 juillet. «Si des travaux supplémentaires étaient nécessaires, l'arrondissement les effectuera et l'organisme sera facturé, a-t-elle écrit par courriel à La Presse. Un dépôt a été réservé en ce sens.»

L'arrondissement recevra 25 600$ pour la location des lieux. Mais, plus important encore, l'activité «contribue au rayonnement de Lachine et de Montréal sur le plan international», explique la porte-parole. «La tenue d'un tel événement génère des retombées économiques intéressantes.»

À Projet Montréal, on s'étonne qu'une activité commerciale comme celle-là ait lieu dans un parc. «C'est une privatisation de l'espace public. C'est pratiquement une semaine de perte de jouissance pour les résidants», dénonce Marc-André Gadoury, conseiller de Projet Montréal.

L'arrondissement réplique que le parc n'est pas entièrement fermé: la piste cyclable qui longe la berge est toujours accessible, tout comme la pointe de la presqu'île. Mais le coeur du parc a été clôturé. On y faisait mardi la démonstration des derniers produits de BRP: «Notre grosse nouveauté est en fait un ancien modèle repensé, avec un plus gros moteur de 1000 cc, a expliqué aux acheteurs un porte-parole de BRP. Parce qu'il y en a qui n'en ont jamais assez!»

Derrière lui, des VTT ronronnaient au soleil en attendant un nouveau départ vers la piste. Un peu en retrait, à l'ombre, un concessionnaire venu du Koweït se reposait. «J'ai vu plusieurs événements comme ça, je représente beaucoup de marques, mais de cette ampleur, je n'ai jamais vu ça, a dit Thunayan al-Ghanim. Le lieu, l'organisation, tout est parfait. Le parc est aussi très beau!»