Le ministère des Transports sait depuis trois ans que le tunnel Viger, dans l'autoroute Ville-Marie (A720), est dans un état général critique pour la sécurité des automobilistes. Fait troublant: les travaux entrepris pour le réparer ont précipité la chute d'une poutre, dimanche, heureusement sans faire de victimes.

>> Rapport d'inspection générale du tunnel Viger (2008-05-22) (21,1 Mo)

>> Fiche d'inspection annuelle du tunnel Viger (2010-08-26) (565 Ko)

«On peut considérer l'état général [du tunnel] comme étant critique quant à l'aspect sécurité des usagers», indique un rapport d'inspection réalisé en 2008, que le MTQ a accepté de publier lundi, après avoir fait l'objet de nombreuses pressions.

La poutre de 25 tonnes reposait sur un appui très étroit. Comme si cela ne suffisait pas, les travaux en cours depuis quelques mois ont encore rétréci cet appui. Les ingénieurs responsables de ces travaux ont en effet autorisé l'amincissement des murs soutenant les poutres.

Malgré la conclusion du rapport d'inspection de 2008, l'enquête déclenchée à la suite de l'effondrement semble pour l'instant mettre en cause uniquement les entreprises réalisant les travaux de réparation. Une source proche de l'enquête a indiqué à La Presse que les premières inspections devraient permettre de conclure à un «accident de chantier». Les inspecteurs sont déjà en train de déterminer qui, de l'entreprise ayant obtenu le contrat - Laco Construction -, du surveillant de chantier - un consortium de firmes d'ingénierie - ou des sous-traitants embauchés pour réaliser les travaux, devra en porter la responsabilité. Même si la faute devait être attribuée à un sous-traitant, la responsabilité reviendra ultimement à Laco Construction, en vertu des règles du MTQ.

La porte-parole du Ministère, Caroline Larose, a d'ailleurs indiqué en fin d'après-midi que les travaux étaient «une cause probable de l'effondrement». Or, tout indique qu'ils n'ont fait qu'aggraver une structure déjà fragile.

Appui fragilisé

La poutre qui s'est effondrée dimanche matin n'était qu'une des nombreuses poutres supportant les  paralumes, des écrans permettant aux automobilistes de garder une vision adéquate en passant de la lumière vive du jour à l'obscurité relative des tunnels.

«Plusieurs sections des murs supportant les paralumes (A720 Est et Ouest) comportent d'importantes surfaces de béton délaminé, indique le rapport d'inspection réalisé il y a trois ans par la firme SNC-Lavalin. La photo 01 montre un mur dont la délamination et/ou l'éclatement du béton atteint 80% de la surface.

«L'appareil d'appui Sud en élastomère de la poutre no 1 a glissé vers l'avant du mur de soutènement et il en résulte une perte d'appui de 25%. L'assise Sud en béton de la poutre no 17 est désagrégée et entraîne une perte d'appui de 25%.

«L'état actuel des paralumes en béton est douteux et nous recommandons, à très court terme, un relevé de dommages ainsi qu'une analyse structurale pour l'ensemble de ces éléments», ajoute le rapport de 52 pages daté de 2008.

Une fiche d'inspection annuelle, réalisée en 2010 et qui tient sur seulement deux pages, conclut pourtant qu'il n'y a «rien de particulier à signaler».

Des travaux ont été entrepris il y a quelques mois pour refaire les murs de cette section, souterraine, de l'A720. Mme Larose, du MTQ, a expliqué qu'ils consistaient à décaper la paroi à l'aide de puissants jets d'eau. Ce faisant, les ouvriers ont rétréci les murs, sur lesquels s'appuient les poutres soutenant les paralumes.

Dans un courriel, un témoin, qui a voulu taire son nom, affirme que les travaux ont rétréci l'appui jusqu'à seulement six pouces. Ce témoin a refusé de donner d'autres détails, soulignant que les enquêteurs de la Sûreté du Québec ont expressément demandé aux témoins de ne pas parler aux journalistes.

Date de réouverture inconnue

Le Ministère ignore quand le tunnel pourra être rouvert à la circulation. Les automobilistes qui circulent en direction est doivent quitter l'autoroute à la sortie de la rue Berri, après être passés sous le boulevard Saint-Laurent.

La poutre qui s'est effondrée dimanche matin obstrue encore les voies. Pendant la nuit de dimanche à lundi, une grue a retiré une deuxième poutre semblable, qui supporte elle aussi les paralumes. Des ingénieurs cherchent la meilleure façon de stabiliser une troisième poutre.

«Nous travaillons à trouver un passage sécuritaire dans le tunnel, pour permettre un accès aux spécialistes, aux experts, aux ingénieurs», a indiqué Caroline Larose.

La réouverture de cette section de l'autoroute à la circulation automobile pourrait prendre plusieurs jours. «On ne sait pas quand les blocs [qui sont tombés] seront déplacés», a dit Mme Larose.

Le Ministère a mandaté les ingénieurs Marie-Josée Nollet, de l'École de technologie supérieure, et Bruno Massicotte, de l'École polytechnique, pour mener une enquête sur les causes de l'effondrement. Mme Larose a dit que leur rapport d'enquête sera public.

Réactions politiques

En matinée, le député péquiste Nicolas Girard, porte-parole de l'opposition officielle en matière de transports, a exigé la publication de tous les rapports d'inspection commandés par le MTQ ces dernières années.

«Il est temps que le ministre [Sam Hamad] fasse preuve de transparence, a-t-il dit. Il a refusé de divulguer les rapports d'inspection sur le pont Mercier et sur l'échangeur Turcot.

«En juin dernier, M. Hamad a tenu des propos méprisants à l'endroit des Québécois pour justifier son refus de rendre publics les rapports sur le pont Mercier: il a dit que les Québécois ne les comprendraient pas. Il faut cesser ce jeu de cache-cache avec les Québécois et les Montréalais. Il faut rendre publics tous les rapports d'inspection.

«Les Québécois sont inquiets, et à juste titre. Dans les derniers temps, on a assisté à une série d'événements. Il y a une véritable crise de confiance sur l'état de nos infrastructures routières. La seule façon de restaurer cette confiance, c'est la transparence »

En fin de journée, le premier ministre Jean Charest a dit qu'il était d'accord avec la diffusion des rapports d'inspection du tunnel Viger de l'A720, et ceux-ci ont été publiés sur le site internet du MTQ.

Mme Larose a dit que le Ministère faisait tout ce qu'il pouvait pour assurer la sécurité des infrastructures. Le gouvernement investit 4 milliards de dollars par année pour l'entretien et la réparation, a-t-elle dit. «Nous ne faisons aucun compromis avec la sécurité», a-t-elle martelé.

«En ce moment, 200 ingénieurs du MTQ travaillent sur le programme d'entretien, a-t-elle ajouté. Au total, c'est 700 ingénieurs qui sont mobilisés. À l'échelle du Québec, 90% des travaux d'inspection sont faits par des firmes de génie-conseil.»

Mme Larose a ajouté que la solidité du tunnel de l'A720, où est tombée la poutre, n'est pas en cause. «Ce qui est tombé, c'est une poutre qui portait des paralumes, a-t-elle répété. Le tunnel en tant que tel n'est pas touché.»

Un journaliste lui a demandé quelle était la firme d'ingénieurs qui avait supervisé les travaux, lors de la construction de ce tronçon, ainsi que le nom de l'entrepreneur général, mais Mme Larose l'ignorait.

Par ailleurs, une porte-parole de la Sûreté du Québec, Geneviève Bruneau, a dit que les enquêteurs de la SQ avaient déjà rencontré presque toutes les personnes qui devaient être rencontrées. Il s'agit vraisemblablement des témoins de l'événement.

En général, la police enquête lorsqu'il y a un soupçon de crime: «Y en a-t-il un dans ce cas?», lui a demandé un journaliste. «Cela fait partie des volets de l'enquête, a répondu Mme Bruneau. Pour l'instant, il n'y a aucune conclusion.»

- Avec la collaboration de Pierre-André Normandin