Les Montréalais ont-ils raison de croire que leur réseau routier est le plus délabré du continent?

«C'est difficile à vérifier, mais parmi les villes nord-américaines, Montréal se classe probablement parmi les plus problématiques», répond Douglas Hooton, professeur de génie civil à l'Université de Toronto.

«Il y a environ cinq ans, illustre-t-il, des experts des quatre coins du monde sont venus participer à un colloque majeur à Montréal. En roulant entre Dorval et le centre-ville, chacun d'entre eux n'en revenait pas du piètre état du béton! Ils n'en revenaient pas de tous les problèmes qu'ils constataient!»

Le gel et la corrosion font leurs dégâts, détaille-t-il, et les agrégats du béton disponibles à proximité de Montréal ne sont pas aussi bons que ceux utilisés à Toronto, ce qui cause aussi des fissures.

Chose certaine, la ville de Toronto n'a jamais dû fermer un pont d'urgence en raison d'un problème de structure, assure le directeur des services techniques, Peter Crockett, convaincu que la Ville Reine n'est pas dans la même situation que Montréal (tout en convenant que même le revêtement de béton qui se détache de l'autoroute Gardiner représente un danger).

«J'ai l'impression qu'à Montréal, on a été encore plus lents qu'ailleurs à investir dans l'entretien et la réparation, qu'on est encore plus en retard», commente le vice-président de la Fédération canadienne des municipalités et maire de Lachine, Claude Dauphin.

À l'image des experts américains joints par La Presse, M. Dauphin n'a jamais entendu parler d'une ville frappée aussi souvent, dans un aussi court laps de temps.

«Cela me semble assez fréquent pour inquiéter les gens, avance de son côté le professeur Joseph L. Schofer, directeur de l'Infrastructure Technology Institute à l'université Northwestern de Chicago. Le plus important, c'est de comprendre les différentes causes afin de voir s'il y a un lien entre elles, pour pouvoir corriger la situation.»

À sa grande surprise, une simple visite sur le site Google Street View (qui montre en photo chaque rue Montréal) lui a permis de repérer des dégâts. «J'ai été étonné devant les dommages que j'ai constatés, dit-il. Aux États-Unis, nous avons désinvesti, mais j'avais des attentes plus élevées quant à l'état des infrastructures au Canada.»

«L'âge n'est pas une excuse, tranche cet ingénieur. Si on surveille, entretient et utilise une structure adéquatement, elle devrait tenir longtemps. Et on ne peut pas se surprendre du climat. C'est une condition fondamentale. Il faut concevoir en fonction de cela pour ne pas mettre des vies en danger, comme on le fait ici pour faire face aux tremblements de terre et aux inondations.»

«Aux États-Unis, les incidents semblent plus éparpillés, même si la corrosion cachée est aussi un grand problème pour nous», ajoute l'ingénieur Jerome S. O'Connor, responsable du programme des ponts à l'Université de Buffalo.

Cela dit, aucune étude ne permet d'établir un véritable palmarès de la décrépitude. «C'est difficile de vérifier nos impressions. Des choses qui tombent des ponts, il y en a souvent, mais c'est rarement très publicisé», observe par ailleurs Benoît Robert, professeur de génie à l'École polytechnique de l'Université de Montréal.

«D'après ce que j'entends au ministère des Transports, on n'a pas à avoir honte si on se compare au reste de l'Amérique du Nord», poursuit ce spécialiste de l'analyse et de la gestion des risques.

«En Europe, les autoroutes sont de meilleures qualités, dit-il. Mais elles sont payantes, donc elles sont très chères.»

Et d'après nos recherches, cela n'empêche pas certains ponts de tomber.

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Sucession de malheurs (voir la galerie photos)

À Montréal

Été 2008 > À la sortie du pont Champlain, la bretelle d'accès de l'autoroute Décarie (15) est fermée d'urgence lorsqu'un morceau d'une cinquantaine de centimètres de diamètre se détache de la chaussée pour creuser un trou plusieurs mètres plus bas, rue Notre-Dame. Peu après, un morceau de béton de plusieurs centaines de kilos se détache pour tomber dans un stationnement.

Mi-avril 2011 > Plusieurs voies de l'échangeur Turcot, qui relie l'autoroute Ville-Marie (720) à l'autoroute 20Ouest, sont fermées d'urgence pour quelques mois, des ingénieurs ayant découvert que les armatures d'acier avaient été mal disposées au moment de la construction de l'échangeur, dans les années 60.

30 Mai 2011 > Un morceau de béton d'une vingtaine de kilogrammes se détache de l'autoroute Métropolitaine (40) pour s'affaisser sur le trottoir du boulevard Crémazie, en pleine heure de pointe.

14 Juin 2011 > Des voies du pont Mercier sont fermées d'urgence parce qu'on réalise soudain que des éléments de structure sont gravement endommagés. Des travaux majeurs étaient pourtant en cours depuis deux ans.

7 Juillet 2011 > Deux joints de dilatation cèdent sur le pont Champlain, créant des trous béants dans la chaussée, en pleine heure de pointe. Ils faisaient partie de la liste des travaux à réaliser d'ici à 2019. Plusieurs rapports, longtemps gardés secrets, affirment que le pont n'est plus sécuritaire.

31 Juillet 2011 > L'autoroute 720 est partiellement fermée en direction est après qu'un paralume de 25tonnes se fut effondré dans le tunnel Ville-Marie.

À Laval

Juin 2000 > Une poutre de 60 tonnes se détache du viaduc du Souvenir, tuant un homme et en blessant deux autres, alors qu'ils roulaient sur l'autoroute 15. Personne n'a été tenu responsable de la catastrophe.

30 Septembre 2006 > Le viaduc de la Concorde s'effondre sur l'autoroute 19, tuant cinq personnes et en blessant six grièvement.