Chaque semaine, La Presse pose 10 questions à un acteur de l'actualité qui a été l'objet d'une grande attention médiatique. Un lecteur ou une lectrice est invité à poser la 11e question. Cette semaine, Luc Ferrandez, maire du Plateau-Mont-Royal, vertement critiqué pour avoir adopté des mesures d'apaisement de la circulation dans son arrondissement.

1 Êtes-vous en colère ou déçu de la réaction qu'ont suscitées vos mesures d'apaisement de la circulation?

Je fais une différence entre la réaction du public et celle des médias. Il y a des gens qui traversent la rue pour me féliciter. En revanche, ceux qui ne m'aiment pas ressentent une colère inextinguible à mon endroit. Pour eux, je personnifie l'arrogance. Ils n'accordent aucune importance à mes explications. Ce qui me déçoit le plus, c'est quand cette réaction vient des jeunes. Je trouve qu'il y a vraiment un clivage entre ceux qui ont une conscience sociale et les autres, qui ne pensent qu'à leur survie.

2 Vous attendiez-vous à une telle réaction de colère de la part du public?

Non. J'avais de grosses craintes qui me tenaient éveillé la nuit, mais je ne m'attendais pas à une réaction aussi forte. Heureusement, je ne suis pas seul là-dedans. J'ai le soutien d'une équipe, des militants, d'un parti, des ingénieurs de mon arrondissement, etc. Depuis le début, personne n'a abandonné. Si j'avais été seul, j'aurais lâché.

3 Évitez-vous de lire les reportages, articles et chroniques qui parlent de vous - question de vous protéger - ou regardez-vous tout systématiquement?

Je lis tout, tout. Les chroniques, les textes, les statuts Facebook, les réactions, les réactions aux réactions... Je peux parfois en lire jusqu'à deux heures du matin.

4 Est-ce dur de voir son nom dans les médias dans un contexte négatif?

Ce midi (jeudi), l'animateur Benoit Dutrizac (98,5 FM) et moi nous sommes engueulés comme du poisson pourri. C'était la première fois que ça m'arrivait, et je n'ai vraiment pas aimé ça parce qu'on m'a attaqué personnellement et on a dit que j'étais un mauvais gestionnaire. Habituellement, les médias ne me dérangent pas trop; ce que je trouve le plus dur, ce sont les commentaires de la rue. L'autre jour, j'ai croisé une dame qui m'a regardé dans les yeux. Je lui ai souri et lui ai dit bonjour; elle m'a répondu: «Pensez-vous que j'ai envie de vous dire bonjour?» Ça, c'est dur et, comme j'habite au Plateau, il m'arrive souvent de me faire engueuler. Cela dit, il y a des gens qui me félicitent. Mais disons que ça prend 10 compliments pour compenser une insulte.

5 Avec le recul, trouvez-vous que vous avez bien communiqué ce que vous vouliez faire sur le Plateau?

Non. J'ai fait ce que j'ai pu avec les moyens d'un arrondissement. Cela dit, j'ai eu une cinquantaine d'occasions d'expliquer mon projet dans les médias, et les gens n'ont pas compris. Il y a donc manifestement quelque chose que je n'ai pas fait comme il faut.

6 Si c'était à refaire, que feriez-vous autrement?

Je distribuerais 15 000 dépliants dans les boîtes aux lettres plutôt que 5000. Je ferais plus de rencontres citoyennes. J'ai compris que les gens qui s'opposent ont plus de poids que ceux qui sont d'accord. Ils se déplacent dans les assemblées, crient plus fort, etc. Une chose est certaine, je n'aurais pas mis en place les mesures d'apaisement en même temps que les travaux ailleurs dans le quartier.

7 Est-ce que vous considérez que les médias ont fait un travail juste dans leur couverture des mesures adoptées par votre administration?

Non. C'était une couverture tendancieuse, j'ai lu et entendu des faussetés. On a dit que les mesures avaient eu un impact sur 100 000 voitures alors que, dans les faits, on parle de 11 000. On n'a pas dit non plus que les travaux avaient été imposés par la ville centre et qu'on l'a su seulement une semaine avant qu'ils ne débutent.

8 Qu'est-ce qui aurait été une bonne couverture médiatique, à votre avis?

Qu'on explique mieux les objectifs du plan et qu'on dise que, si on en est arrivé là, c'est qu'aucune des mesures destinées à diminuer la circulation automobile par le passé n'a fonctionné. De plus, jusqu'à aujourd'hui, il n'y avait eu aucune analyse pour expliquer ce qui s'est passé dans d'autres grandes villes comme Paris et Londres lorsqu'elles ont adopté des mesures similaires. Mais je dois dire qu'on assiste ces jours-ci à un deuxième souffle en matière d'analyses, avec des textes plus mesurés. Je trouve ça encourageant.

9 À votre avis, est-ce que les médias contribuent à augmenter le mécontentement de la population du Plateau et des environs?

Oui, les médias régressent. Ils sont aux abois dans une situation de concurrence féroce et doivent attirer l'attention avec peu de ressources. Cela dit, je le répète, c'est moi le premier coupable pour avoir adopté des mesures d'apaisement en même temps que les travaux.

10 Est-ce que vous considérez toujours que votre blogue est une bonne façon de communiquer avec vos électeurs?

J'adore ça, mais à un moment donné je me suis lassé, car je n'avais pas de ressources pour modérer les commentaires. Comme je les lis tous et que, parfois, les gens en profitent pour me poser des questions, ça devenait assez long. Et puis je trouvais qu'il y avait trop de chicanes. Mais là, les commentaires deviennent intéressants et j'ai quelqu'un qui s'occupe de la modération, alors oui, je vais continuer à bloguer.

TWITTER +1, de Samuel Larochelle @SamuelLarochel

Avez-vous en tête des projets idéalistes que vous n'oseriez jamais proposer?

Je rêve d'un lien entièrement vert entre le parc La Fontaine et le mont Royal qui passerait notamment par la rue Marie-Anne. Ce serait dans l'esprit de ce que disait Olmsted [NDLR: architecte-paysagiste, concepteur notamment du parc du Mont-Royal et de Central Park, à New York], c'est-à-dire que chaque citoyen devrait pouvoir s'évader dans la nature et bénéficier de son effet thérapeutique.