Les marginaux victimes du nettoyage de la place Émilie-Gamelin, à l'été 1996, ont remporté une demi-victoire dans leur recours collectif contre la Ville de Montréal, a rapporté Le Devoir dans son édition de jeudi.

Les 78 requérants détenus illégalement, le 29 juillet 1996, ont obtenu chacun 1500 $ en dommages moraux et 1000 $ en dommages punitifs, pour une somme totale de 195 000 $. Militants pour les droits de la personne, jeunes de la rue et sans-abri, ils avaient été arrêtés en masse à l'aurore, après avoir occupé la place Émilie-Gamelin toute la nuit.

La Cour supérieure se montre critique d'un seul aspect du travail des policiers dans cette affaire: ils n'auraient pas dû détenir les manifestants au poste pendant quelques heures pour une banale infraction aux règlements municipaux. Pour le reste, les patrouilleurs ont agi de manière prudente et compétente lors de l'opération, estime le juge André Prévost.

Le quadrilatère délimité par les rues Berri (ouest), Sainte-Catherine (sud), Saint-Hubert (est) et le boulevard de Maisonneuve (nord) était l'objet d'un affrontement symbolique majeur en 1996, alors que le centre-ville amorçait sa renaissance sous la double impulsion des politiques de revitalisation et de tolérance zéro.

La place Émilie-Gamelin était accessible à toute heure du jour à l'époque. Pour les jeunes marginaux, les sans-abri et les trafiquants de drogue, la place constituait le point de chute idéal. Plusieurs y dormaient la nuit, au grand dam des citoyens et des commerçants incommodés par le bruit et des gestes dits d'incivilité.

En avril 1996, le conseil municipal a changé la vocation de la place pour la transformer en parc. Contrairement aux places publiques, les parcs sont fermés entre minuit et 6 h. Le changement de vocation allait donner aux policiers toute la latitude nécessaire pour expurger le site de sa faune nocturne.

En guise de protestation, le mouvement «De la bouffe, pas des bombes» a organisé un «snack de minuit» à la place Émilie-Gamelin, dans la nuit du 28 au 29 juillet 1996. Quelque 200 personnes ont répondu à l'appel. Après que les manifestants eurent allumé un feu de camp pour se réchauffer, les policiers ont décidé d'intervenir.

Au total, 78 personnes ont été arrêtées, écopant d'une contravention «pour avoir été présentes dans un parc après les heures de fermeture». Dans les trois années suivantes, 48 autres personnes ont été arrêtées pour des motifs similaires au même endroit.

La Cour supérieure donne raison aux plaignants, tout en confirmant la légalité du règlement. Pourtant, le requérant principal, David Kavanaght, et sept coaccusés avaient été acquittés des infractions en Cour municipale, en 1998, pour une raison technique. Le conseil municipal avait omis de modifier le règlement d'urbanisme pour entériner la conversion de la place en parc. Finalement, la Ville a procédé aux modifications réglementaires dans les règles de l'art en 1999.

M. Kavanaght et les requérants exigeaient 14 500 $ chacun. La Cour est d'avis que la Ville n'était pas de mauvaise foi dans cette histoire. Elle limite à 2500 $ par personne les dommages, au bénéfice des seules personnes arrêtées le 29 juillet 1996.