Sept jours de suspension de licence en novembre prochain. C'est la seule sanction qu'impose la Régie du bâtiment (RBQ) à l'entrepreneur Terramex, qui obtient d'importants contrats à Montréal, après qu'il eut été reconnu coupable de fraude fiscale. Explication: l'organisme membre de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) fait preuve d'indulgence pour ne pas retarder de «gros» chantiers en cours et pénaliser les automobilistes.

Une «aberration», a réagi Robert Lafrenière, commissaire de l'UPAC, lors de sa conférence de presse d'hier (voir autre texte en pages 2 et 3).

Selon Revenu Canada, entre 2002 et 2004, Terramex s'est procuré pour 280 000$ de fausses factures auprès de deux fournisseurs complices du stratagème pour économiser 59 280$ d'impôt.

Or, parmi toutes les mesures mises en place par le gouvernement Charest pour lutter contre la corruption et la collusion dans la construction, et convaincre la population de l'inutilité d'une enquête publique, l'une d'elles donne le pouvoir à la RBQ de résilier, suspendre ou restreindre la licence d'un entrepreneur reconnu coupable au cours des cinq années précédentes d'une infraction fiscale ou de tout acte criminel. Mais il faut prouver que ces infractions sont liées «aux activités que la personne entend exercer dans l'industrie de la construction».

C'est dans ce cadre que Terramex a été convoquée en audience par le régisseur de la RBQ, le 22 août dernier.

«Facteurs atténuants»

Pour justifier sa décision, que La Presse a obtenue hier, le régisseur Robert Généreux invoque plusieurs «facteurs atténuants», en particulier le fait qu'une trop grande sévérité de sa sanction pourrait avoir un «impact» néfaste sur les chantiers en cours au centre-ville de Montréal et, par conséquent, sur «le public». Lors de l'audience, les dirigeants de Terramex ont insisté sur ce point. Le vice-président a invoqué «les conséquences fâcheuses sur la population en général, le tourisme et surtout sur la circulation». Il a également souligné que tout retard causé par une suspension de licence sur des travaux saisonniers entraînerait des pénalités imposées à sa firme de 0,5% par jour.

Quant au président de la société, Michel Leclerc, il a justifié ces fraudes par un besoin d'argent afin de «donner des bonbons» à des sous-traitants «pour qu'ils viennent travailler» pour lui à une période où son entreprise était «débordée de travail».

Arguments pour frauder?

Terramex a entre autres obtenu un contrat de près de 14 millions de dollars pour la réfection de la place d'Armes. Un chantier financé en quasi-totalité par le ministère des Affaires municipales qui, en contrepartie, ne réclame aucune reddition de comptes détaillée de la Ville de Montréal, comme l'a révélé récemment La Presse.

La firme va aussi empocher 12,7 millions pour des travaux dans le Quartier des spectacles, y compris 1,2 million en dépassement de coûts.

Selon le Parti québécois, la RBQ vient d'offrir aux entrepreneurs délinquants la permission de frauder au lieu de les «décourager»: «Ça m'insulte, fulmine Marjolaine Dufour, porte-parole du PQ en matière de travail. Ça va donner des idées aux autres [...]. On va frauder et sortir l'argument: J'ai des chantiers en cours, ne m'enlevez pas mes licences, mais je peux quand même frauder l'État.»

Simard-Beaudry et Louisbourg

Rappelons que deux firmes fondées par Antonio Accurso, Simard-Beaudry et Louisbourg, devront elles aussi comparaître devant la RBQ après avoir été reconnues coupables de fraude fiscale. Hier, la RBQ n'avait toujours pas fixé de date d'audience.

Le 12 septembre, réagissant entre autres au fait qu'aucune sanction n'avait encore été imposée à ces deux sociétés, la ministre du Travail, Lise Thériault, avait indiqué son intention de «resserrer» encore plus la loi.

La Ville de Montréal préfère «s'abstenir» de faire de commentaires, le temps d'«analyser l'impact de la décision de la Régie». Mais à la mi-septembre, l'administration Tremblay avait argué que Terramex n'avait pas fraudé la Ville pour justifier sa décision de continuer à lui accorder des contrats.