Cindy est tombée dans la prostitution à l'âge de 17 ans. «Un tunnel noir sans lumière au bout», illustre-t-elle en se cachant les yeux avec les mains. Quatre ans plus tard, elle décide pourtant de quitter le milieu. Ce jour-là, elle se fait battre «une fois de trop». La brunette se réfugie chez sa mère et décide de porter plainte contre son proxénète, l'homme qu'elle aimait. Elle accepte de témoigner contre celui qui l'a convaincue de devenir danseuse et escorte, par «amour», pour l'aider à éponger ses dettes. Il a écopé de cinq ans de prison. Elle la voit enfin, la lumière au bout du tunnel.

Cindy est aujourd'hui âgée de 26 ans. Elle est l'une des cinq jeunes femmes recrutées par la police de Montréal pour participer au programme «Les survivantes». Elles ont toutes traversé le processus judiciaire de A à Z. Elles tentent aujourd'hui de convaincre et d'aider d'autres femmes victimes d'exploitation sexuelle à s'en sortir et même, à porter plainte.

«Je pense qu'on est les mieux placées pour les comprendre. On a vécu ce qu'elles ont vécu», explique Cindy. «Se faire parler par quelqu'un qui ne l'a pas vécu et se faire dire «Je te comprends ma belle», c'est un peu hypocrite. Comment tu peux la comprendre?»

Les survivantes sont appelées à intervenir auprès de femmes, après des interventions policières ou à l'initiative de policiers qui travaillent sur le terrain. Elles sont appuyées par des intervenants du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC). Différentes ressources communautaires pourront aussi diriger des jeunes femmes qui sont vulnérables et sur le point de basculer dans la prostitution.

«Quand je leur parle, je me vois en elles», dit Cindy. «Mais moi, ç'a été long avant que je clique. Je souhaite tellement que ces filles-là le réalisent avant d'avoir à traverser tout ce que j'ai traversé.»

Les survivantes est un programme discrètement mis sur pied depuis environ un an par un groupe qui relève des Enquêtes multidisciplinaires et coordination jeunesse du Centre opérationnel Ouest. Le SPVM l'a présenté aux médias hier.

Les survivantes sont aussi appelées à participer à des séances d'information auprès de groupes de policiers. Elles tentent d'y défaire le «mythe» selon lequel celles qui travaillent dans l'industrie du sexe le font de leur plein gré.

«C'est une question de sensibilité», explique le numéro 2 du SPVM, Pierre Brochet. «Les patrouilleurs sont les premiers intervenants. Des fois, le fait de s'asseoir et de démontrer de l'empathie peut faire toute la différence. Parce que cette jeune femme-là est peut-être sur le point de vouloir changer de vie, et ça peut être un événement déclencheur.»

Josée Mensales, agente de concertation communautaire du SPVM, planche sur le projet depuis deux ans. À son avis, le phénomène de la prostitution est approché comme celui de la violence conjugale il y a 15 ans.

«À cette époque, on avait la fausse croyance que les femmes qui restaient dans leur situation de violence conjugale le toléraient, qu'elles étaient en faveur de ce qu'elles vivaient et donc qu'elles ne voulaient pas d'aide. Aujourd'hui, il y a des lois qui permettent aux policiers de porter plainte ou d'intervenir pour éviter le pire en situation de crise.»

À son avis, les femmes qui vivent de l'exploitation sexuelle doivent être considérées comme des victimes.

«Les policiers ne peuvent pas porter plainte pour les filles. Par contre, s'ils sont sensibilisés et qu'ils connaissent les différentes ressources qui sont là pour elles, on peut leur donner un coup de pouce.»

Valérie, une autre «survivante» explique qu'elle s'est longtemps méfiée des autorités. «Des policiers, il y en a des super bons, mais il y en a des mauvais aussi. Quand tu es danseuse ou escorte, il y a des policiers qui vont te regarder de haut, qui croient que tu ne pourras jamais t'en sortir. J'aimerais ça leur faire comprendre que même si j'ai été danseuse et escorte, je suis une personne, comme eux.»