Au moins cinq Services d'injection supervisés (SIS) pourraient voir le jour à Montréal dans plusieurs quartiers différents, a appris La Presse de plusieurs acteurs engagés de près dans le dossier. Si le ministère de la Santé a récemment accordé son feu vert au projet, ce dernier semble encore loin de voir le jour et de faire l'unanimité.

Des Services d'injection supervisés (SIS) pourraient ouvrir au Centre-Ville, dans Hochelaga-Maisonneuve, dans Centre-sud, sur le Plateau-Mont-Royal et à Verdun, des secteurs où sont éparpillés les milliers de consommateurs de drogue par injection montréalais.

Le but de ces SIS serait d'offrir un cadre sécuritaire aux consommateurs. Chaque endroit abriterait un lieu de répit. Une infirmière serait sur place pour prévenir la surconsommation et intervenir en cas de surdoses.

Le dossier des SIS débloque suite à une récente décision de la Cour Suprême, où neuf juges ont unanimement statué qu'il relevait d'une question de santé et non de sécurité.

Comme la santé est une compétence provinciale, le ministre de la Santé Yves Bolduc n'a fait qu'avaliser le projet, réclamé depuis belle lurette par bon nombre d'organismes, à commencer par l'Agence de la santé et des Services sociaux de Montréal, qui a produit un rapport favorable à la création de tels services en 2010.

Le rapport soutenait que le SIS pourrait réduire le taux de transmission de maladies chez les utilisateurs de drogues par injection, dont 70% sont infectés par l'hépatite C. Plusieurs ont aussi contracté le VIH en utilisant des seringues non-stériles.  La consommation encadrée permettrait de réduire le nombre de décès par surdose, avance le rapport.

La décision de la Cour Suprême légiférait avant tout le premier - et unique - site d'injection canadien, Insite, ouvert depuis 2003 dans un quartier chaud de Vancouver.

La province avait obtenu une dérogation spéciale à cause des problèmes criant dans le quartier Downtown Eastside, pris d'assaut par les junkies.

Le nerf de la guerre: l'acceptabilité sociale

L'Agence de la santé et des services sociaux a mandaté la Direction de la santé publique de se pencher sur l'implantation des SIS dans la métropole. Deux comités ont été formés avec des commerçants, des élus, des organismes gouvernementaux et communautaires et des citoyens. L'un d'eux s'attarde à l'acceptabilité sociale de ces services. L'autre étudie de quelle façon ces services seront organisés. Les deux rapports devraient être livrés d'ici la fin 2011.

Les SIS montréalais s'inspireraient de ceux existant à Barcelone, soit une formule de multi-sites. «On pense que les SIS constituent une réponse positive à divers problèmes de santé et à certains irritant», explique Carole Morissette, médecin conseil spécialisée en ITSS et porte-parole du dossier au nom de la DSP.

Le concept d'ajout de services à des services existants semble préconisé. D'où l'emploi du terme «service» d'injection au lieu de «site». C'est d'ailleurs là le nerf de la guerre. Va-t-on annexer ces services à des organismes existants comme Cactus (Centre-ville), Dopamine (Hochelaga-Maisonneuve) et Spectre de rue (Centre-sud) ou va-t-on les intégrer au réseau de la santé, comme dans les CLSC par exemple ?

Plusieurs personnes interrogées favorisent la seconde option, notamment pour des raisons éthiques et de crédibilité. «Une chose est sûre, on doit impliquer le réseau de la santé, pour l'emploi d'infirmières formées et les traitements», assure la docteur Morissette. L'organisme montréalais Cactus collabore d'ailleurs étroitement au projet, mais estime que l'aménagement des SIS dans les locaux des organismes spécialisés relève de la logique. «93% de notre clientèle ne fréquente pas le réseau de la santé, mais uniquement les organismes. Est-ce qu'on veut joindre le 7% -moins marginalisé en plus- ou le 93%?», demande le porte-parole Jean-François Mary.

La Direction de la santé publique termine aussi une étude sur le nombre de consommateurs de drogues par injection à Montréal. La dernière remonte à 1996 et faisait état de 11 700 consommateurs. 50% d'entre eux résident sur le territoire du centre-ville de Montréal, estime la docteur Morissette.

À Montréal, la cocaïne est la drogue la plus répandue par intraveineuse. L'héroïne a été détrônée récemment par les opiacés au deuxième rang, ce qui effraie la santé publique. «On  s'inquiète du risque de surdose», explique Carole Morissette.

«Pas une guerre gagnée d'avance»

Le directeur de l'organisme Montréalais Spectre de rue, Gilles Beauregard, est conscient que beaucoup de travail reste à faire avant de couper le ruban devant un SIS. «Ce n'est pas une guerre gagnée d'avance. Je m'attends à de la grosse résistance ici dans le quartier (centre-sud). Pour moi, c'est important que la Direction de la santé publique fasse preuve de leadership pour rassurer tout le monde», explique-t-il.

«L'inquiétude est légitime, mais basée sur la méconnaissance du milieu et non sur des faits réels», explique de son côté Jean-François Mary de l'organisme Cactus. «Il y a des craintes pour l'affluence, mais celle-ci existe déjà. En moyenne 80 usagers fréquentent notre centre chaque jour et les trois quarts nous disent qu'ils utiliseraient les SIS», ajoute M. Mary.

Au-delà du travail policier

Le responsable du poste de police d'Hochelaga-Maisonneuve, où les piqueries font partie du paysage depuis des décennies, n'a pas le choix de considérer l'ouverture d'endroits sécuritaires et supervisés pour s'injecter de la drogue. «Les consommateurs sont souvent volés ou battus, surtout lorsqu'ils surconsomment», explique l'inspecteur d'unité François Cayer. Ces piqueries clandestines peuvent s'avérer extrêmement violentes puisque quelques organisations criminelles se les disputent pour contrôler le trafic. Les prostituées et les junkies sont d'ailleurs à l'origine de pratiquement toute la criminalité et des incivilités du quartier. «Si on pratiquait la répression pure, on pousserait le problème vers d'autres secteurs. Nous sommes aux prises avec des problèmes sociaux graves, qui vont au-delà du travail policier», explique l'inspecteur d'unité Cayer.

Reste à voir si le gouvernement fédéral autorisera une exemption à sa Loi sur les drogues. Sans cette mesure spéciale, la loi permettra à des toxicomanes de consommer dans des SIS, mais aussi à la police de les arrêter pour possession de stupéfiants à leur sortie.

Une absurdité qui illustre bien la complexité d'un tel dossier.