Le port de Montréal demeure un haut lieu du crime organisé au pays, confirme un rapport interne de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Et les Matticks pourraient encore y tirer des ficelles.

«Plusieurs groupes du crime organisé opèrent dans la région du port maritime de Montréal», peut-on lire dans ce document qui émane des services de renseignements de l'ASFC.

«Un certain nombre d'employés au port sont reliés à divers groupes du crime organisé, y compris des groupes italiens, les Hells Angels et une cellule criminelle importante qui fait partie du réseau criminel West End Gang.»

La Presse a obtenu l'Évaluation nationale du risque dans les bureaux de 2010 en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Le document daté de septembre 2010 fait le survol des activités illégales qui ont cours aux différents points d'entrée au pays, dont les ports de Montréal, Vancouver et Halifax, ainsi que les aéroports comme celui de Dorval ou la frontière terrestre de Lacolle.

Le port de Montréal y est ciblé comme étant particulièrement actif en matière de contrebande. «En 2009, les saisies au port maritime de Montréal ont compté pour plus de 75% de la valeur totale des drogues saisies dans le monde maritime», précise-t-on.

Haschich, cocaïne, héroïne... Ces drogues sont de types et d'origines diverses: «En décembre 2009, la première expédition maritime contenant du dode [ou doda] a été interceptée au port maritime de Montréal. L'expédition, en provenance des Pays-Bas, contenait 391 boîtes dont le contenu avait été déclaré à titre de fleurs séchées. Un total d'environ 1,2 tonne de dode avait été saisi.»

La doda est un opiacé que l'on obtient par la mouture de graines et de cosses de pavot. Surnommée «l'héroïne du pauvre», elle a gagné en popularité en Alberta et en banlieue de Toronto au cours des dernières années.

Même question, deux réponses

Au-delà du caractère spectaculaire de ces saisies, c'est la franchise du constat sur la présence du crime organisé qui est étonnant, surtout lorsqu'on le compare avec la prudence habituelle des porte-parole.

En effet, la plupart des organismes concernés ont préféré éviter de répondre à cette simple question: le crime organisé est-il bel et bien présent dans le port de Montréal? L'Administration portuaire de Montréal nous a renvoyé à la GRC, à l'ASFC et au Service de police de la Ville de Montréal, affirmant que ses responsabilités se limitaient à la gestion des infrastructures et des terrains du port.

L'Agence des services frontaliers du Canada a déclaré que «le rôle de l'ASFC n'est pas de faire des études sur les causes du trafic illicite fait par le crime organisé, mais d'appliquer les lois en vigueur en empêchant les marchandises illégales d'entrer au pays ou d'en sortir. L'enjeu et les implications possibles du crime organisé dans le port de Montréal (études, recherches des causes et tendances) relèvent de la GRC.»

La GRC, qui a mis sur pied une escouade spéciale dans le port de Montréal il y a quelques années, n'a pas répondu à nos appels. Au Service de police de la Ville de Montréal, le porte-parole Ian Lafrenière a déclaré: «Oui, on a déjà enquêté sur des crimes liés à des gens liés au crime organisé. Mais ça ne fait pas nécessairement du port un endroit lié au crime organisé.»

La menace Matticks

Les auteurs de l'évaluation nationale que La Presse a obtenue sont beaucoup plus directs. «Les groupes organisés présents au port maritime de Montréal continueront de faciliter le passage de la contrebande à cet endroit», affirment-ils.

Parmi ces groupes, le gang de l'Ouest demeure une préoccupation. Ces individus «poursuivent leurs opérations, malgré l'arrestation d'un certain nombre de leurs membres en 2002», dit le rapport.

«Le chef de la cellule devrait sortir de prison en août 2010 et il devrait vraisemblablement reprendre ses activités criminelles», y indiquait-on alors.

Gerald Matticks, qui a aujourd'hui plus de 70 ans, avait été condamné à 12 ans de prison en 2002 pour son rôle clé dans l'importation de 265 kg de cocaïne et 31 tonnes de haschisch pour le compte du gang de l'Ouest et des Hells Angels, entre 1998 et 2001.

Il a souvent été décrit comme «contrôlant» le port de Montréal, en raison de son influence dans la contrebande qui s'y déroule. Son fils Donald, ancien vérificateur de conteneurs, est lui aussi sorti de prison en 2010; on l'avait également mis l'ombre à la suite de condamnations liées à l'importation de drogue.

«Je ne serais pas surpris que les Matticks tirent encore des ficelles dans le port», estime André Cédilot, ancien journaliste de La Presse spécialisé dans le crime organisé au Québec. Il est le coauteur du livre Mafia inc., qui vient tout juste d'être publié en anglais.

D'Arcy O'connor, coauteur d'un livre sur le gang de l'Ouest, est moins catégorique. «Ils sont surveillés de très près, puisqu'ils sont tous les deux en liberté conditionnelle, et l'une des conditions est qu'ils doivent se tenir loin du port... Donc ils prendraient une chance s'ils se replongeaient là-dedans.»

Aucune nouvelle accusation n'a été déposée contre les deux hommes depuis leur libération. Le gouvernement, néanmoins, n'a pas attendu longtemps avant de talonner le père; en septembre, Revenu Québec a réclamé 1,8 million à Gérald Matticks pour la TPS et la TVQ impayées sur près de 2 milliards de dollars en transactions criminelles.

- Avec William Leclerc