Les nouveaux propriétaires d'un bar de l'ouest de l'île de Montréal souhaitent présenter des spectacles hommages aux groupes des années 1980, servir des ailes de poulet géantes et, peut-être, installer un taureau mécanique.

Mais pour assurer que l'établissement puisse ajouter de l'alcool à son menu, les propriétaires ont dû promettre de se tenir loin de deux choses: les spectacles de rap et de hip-hop.

La Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec a informé les gérants de bar Le Pionnier, situé sur le chemin Bord-du-Lac, à Pointe-Claire, qu'ils devaient interdire ce type de musique s'ils voulaient obtenir un permis d'alcool.

Un groupe anti-racisme n'a pas tardé à dénoncer cette demande comme un exemple de discrimination envers les personnes noires et une page Facebook appelant au boycott du bar a été créée.

Toutefois, la copropriétaire du bar, qui a acheté l'endroit l'automne dernier, a estimé qu'elle n'avait pas le choix de se soumettre à la demande des autorités, puisque son établissement ne peux survivre sans vendre de boissons alcoolisées.

«Ma première réaction, ça été de penser que c'est très discriminatoire, a confié Diane Marois, qui possède le bar avec son mari, Ron Bracken. Je ne crois pas que ce soit bien, mais... je préfère que le bar reste ouvert avec un programme limité qu'il ne ferme.»

Une porte-parole de la Régie des alcools, Joyce Tremblay, a affirmé qu'il est «normal» que les demande de permis contiennent des conditions pour interdire certains types de prestations. Dans le cas de Le Pionnier, elle a expliqué que la police locale a demandé d'inclure une clause interdisant les spectacles de rap et de hip-hop.

Lorsqu'elle a été interrogé à savoir si elle trouvait cette condition discriminatoire, elle a été catégorique.

«Non, pas du tout, a répondu Mme Tremblay, qui a ensuite demandé d'adresser les questions à ce sujet au service de police local. Nous sommes les gardiens du permis, et un permis n'est pas un droit, c'est un privilège.»

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n'était pas disponible pour répondre aux questions sur le sujet.

Mme Marois a indiqué que la police a commencé à lui communiquer des inquiétudes concernant les gangs de rue lorsqu'elle a présenté le spectacle d'un artiste hip-hop bien connu à Le Pionnier, à la fin janvier.

«Nous ne voyions pas le problème», s'est rappelé Mme Marois, ajoutant que l'artiste en question avait une «bonne image».

«Apparemment, le problème c'était que cet (artiste) faisait la promotion de nouveaux groupes de musique, et que l'un de ses nouveaux groupes posait problème.»

Les autorités ont retiré le permis d'alcool, selon Mme Marois, arguant que celui qu'ils avaient n'était pas valide. À cet époque, elle était en train de transférer le permis d'alcool de l'ancien propriétaire.

Depuis, Le Pionnier a obtenu un permis temporaire et a recommencé à servir de l'alcool jeudi, pour la première fois depuis deux mois.

Le cas de Le Pionnier, qui s'appelait Clydes avant que les nouveaux propriétaires n'achètent l'endroit et lui redonne son nom d'antan, a suscité des inquiétudes dans la communauté.

Parmi les provinces les plus populeuses du Canada, le Québec semble être la seule où il est possible de bannir certains types de prestations musicales lors de l'obtention d'un permis d'alcool, selon des informations fournies par l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta.

Une porte-parole de la Commission des alcools et des jeux de l'Ontario a expliqué que même s'il est techniquement possible de le faire, il est «hautement improbable» que l'agence ne songe à imposer ce genre de condition.

«Toutes les conditions doivent être directement liées à la sécurité du public et il faudrait un dossier bien solide pour prouver que certains types de musique rendent un endroit dangereux», a estimé Lisa Murray.

Au Québec, un militant antiraciste bien connu a critiqué la Régie des alcools pour avoir ciblé le rap et le hip-hop dans quelques dossiers au fil des ans. Fo Niemi a averti que de telles interdictions limitent l'expression artistique et ouvre la porte aux généralisations ainsi qu'au profilage.

«Cela envoie le très mauvais message que nous devons bannir le hip-hop parce qu'il mène au crime et à des perturbations», a estimé M. Niemi, qui dirige le Centre de recherche-action sur les relations raciales.

«Si nous lisons entre les lignes, ça parle des Noirs.»

Il a ajouté que les autorités devraient plutôt tenter de s'assurer que les bars améliorent les mesures de sécurité. M. Niemi a aussi avancé que les propriétaires de débit de boisson ne veulent pas contester les conditions en raison des coûts potentiels d'une bataille judiciaire.

D'autres blâment les propriétaires de Le Pionnier pour avoir cédé.

Une page Facebook appelant au boycott du bar est apparue après que la nouvelle de l'interdiction s'est répandue. Après 24 heures, la page comptait 250 abonnés. L'un d'entre eux lançait même l'idée de tenir une manifestation devant l'établissement.

De son côté, Mme Marois, qui a été propriétaire du même bar dans les années 1980 et 1990, a affirmé avoir été surprise de l'influence des policiers dans la gestion des établissements de ce genre.

«Je crois que la police... dépasse les limites.»