Joannie Rochette avait 22 mois quand ses parents lui ont mis de petites lames doubles sous les pieds. Vingt-deux-ans plus tard, elle est devenue vice-championne du monde de patinage artistique. L'aboutissement d'un rêve, mais aussi un tremplin vers un autre: une médaille aux Jeux olympiques de Vancouver, en février 2010.

Joannie Rochette a douté jusqu'au dernier moment. Alors qu'elle était deuxième à l'issue du programme court, les gens du milieu supputaient déjà ses chances de monter sur le podium aux Championnats du monde de patinage artistique de Los Angeles, le mois dernier. Aucune Québécoise n'avait réussi l'exploit. Le murmure a fini par l'atteindre: Ai-je vu trop gros depuis toutes ces années?

 

La réponse a été un retentissant «non». Résolue, Rochette a exécuté un programme libre solide alors que plusieurs de ses rivales s'accrochaient les lames dans des chorégraphies de plus en plus exigeantes techniquement. La patineuse de 23 ans a gagné l'argent. Seule la prodigieuse Coréenne Yu Na-Kim, auteure d'une performance qualifiée d'historique par les experts, l'a devancée.

Pour sa détermination, pour son acharnement au travail, pour sa volonté farouche dans un sport impitoyable où la moindre erreur mène à la catastrophe, La Presse et Radio-Canada nomment Joannie Rochette Personnalité de la semaine.

Retour au boulot

Joannie Rochette n'a pas célébré longtemps sa médaille remportée en Californie, une première pour une patineuse canadienne depuis plus de 20 ans. Un souper dans un bon resto et quelques verres de vin avec copain, parents et amis. Le lendemain, elle était de retour au boulot. Elle doit apprendre six nouvelles chorégraphies en vue de la tournée canadienne de Stars on Ice, qui s'amorce jeudi à Halifax.

Cette semaine, elle était à Tokyo, où elle prenait part à une compétition inédite avec l'équipe canadienne.

«Pour l'instant, pas grand-chose n'a changé dans ma vie, raconte Rochette au bout du fil. L'horaire est assez serré et c'est bien comme ça. Ce n'est pas le temps de m'asseoir sur mes lauriers. La saison prochaine, il faut repartir à zéro.»

Avant son départ pour le Japon, elle a jonglé avec un horaire frénétique qui l'a menée à Montréal, Métabetchouan, Gatineau, chez ses parents à l'île Dupas, Toronto, Québec deux fois, Repentigny... Entre un rendez-vous chez la costumière, un plateau de télé et les entraînements sur glace, elle a participé à plusieurs spectacles-bénéfice. «Avant les Mondiaux, je ne savais pas que ce serait fou comme ça. Mais j'avais déjà dit oui à tout ça...» ajoute-t-elle, presque pour se justifier.

Car Rochette sait d'où elle vient. Ces spectacles de fin de saison représentent un moyen de financement très important pour les clubs au Québec. «Il ne faut pas se le cacher, le patinage artistique est un sport très dispendieux, relève l'orgueil de l'île Dupas, une petite communauté de 700 habitants située près de Berthierville. C'est aussi motivant pour moi de rencontrer les jeunes, les petits bouts de chou qui commencent.»

Ainsi, Joannie se revoit à 6 ans, à ses débuts au club de Berthierville. Fille unique, elle avait été inscrite par sa mère pour qu'elle se fasse des amis avant son entrée à l'école primaire. «Mais j'ai toujours été très solitaire, ce qui est bon en patinage artistique, dit-elle. En simple, c'est un sport très, très solitaire. Il faut être prête à passer des heures toute seule, à s'acharner sur des sauts, à tomber 100 fois par jour.»

À 11 ans, Rochette a gagné les championnats québécois dans la catégorie pré-novices grâce à un double Axel qu'elle venait tout juste d'apprendre. L'étape suivante, les championnats de division, était disputée en Nouvelle-Écosse. La nouvelle championne québécoise ne croyait pas pouvoir s'y rendre. Trop cher.

Mais grâce à la mère d'une copine du club, elle s'est retrouvée dans le bureau du président d'EBI, une firme de gestion de matières résiduelles de Berthierville. Gênée au possible, la petite championne a plaidé sa cause auprès de M. Sylvestre. Une semaine plus tard, elle recevait un chèque de 1000$. «J'étais surexcitée, je pensais qu'on était millionnaires!» rigole-t-elle, heureuse de toujours pouvoir compter sur l'appui d'EBI et de la famille Sylvestre, qui était d'ailleurs à Los Angeles pour l'encourager.

À 13 ans, Joannie s'est consacrée plus sérieusement au patinage, joignant les rangs du club Les Estacades de Trois-Rivières, où elle a rencontré son entraîneuse Manon Perron. Deux ans plus tard, le duo déménageait à Montréal, s'établissant pour de bon au club de Saint-Léonard. Rochette y a connu une progression constante, raflant les titres nationaux dans les catégories novice (2000), junior (2001) et sénior (2005 à 2009), une première dans l'histoire du patinage artistique canadien.

Rochette a participé à six championnats mondiaux séniors avant de goûter aux honneurs à Los Angeles. Jusque-là, son résultat le plus satisfaisant avait été sa cinquième place surprise aux Jeux olympiques de Turin, en 2006. Aux Jeux de Vancouver, dans 10 mois, elle figurera assurément parmi les favorites.

En attendant, elle savoure sa médaille d'argent. «Ma carrière est plus près de la fin que du début, note-t-elle. Il me reste deux, trois ou quatre ans maximum. J'ai mis sept ans à atteindre quelque chose de vraiment gros. Je vais le réaliser pendant les 20 prochaines années de ma vie, c'est sûr.»