Elle a publié beaucoup depuis neuf ou 10 ans. Elle écrit depuis toujours. Et soudain, parce que le travail finit toujours, ou presque, par donner des fruits, elle récolte les honneurs pour son dernier roman: Le ciel de Bay City, publié aux éditions Héliotrope.

Catherine Mavrikakis se dit surprise et honorée que 2009 lui ouvre tout grand les portes d'une notoriété dont elle se gausse jusqu'à un certain point. Comme femme et comme écrivaine, elle possède le don rare de se moquer d'elle-même.

 

Cependant, le Prix des collégiens, qu'elle a récolté au dernier Salon du livre de Québec, a été le plus émouvant de tous. Car les jeunes, c'est l'autre partie de sa vie intellectuelle: elle leur enseigne la littérature à l'Université de Montréal.

Prix des libraires, Prix du livre de la Ville de Montréal, choix du ICI Montréal, etc. Pour cette brassée de prix bien mérités, La Presse et Radio-Canada la nomment Personnalité de la semaine.

Découverte

Elle est délicate physiquement et pourtant si intense qu'à l'instant où elle s'installe en face de vous, elle vous happe. Et c'est bientôt elle qui pose les questions! «Je suis une éponge», explique-t-elle. Son empathie extraordinaire n'est jamais au repos ni feinte. Son intérêt pour «l'autre» se traduit en romans. Et s'il faut parler, expliquer des états d'âme ou exorciser des démons, elle ne met pas de gants blancs. C'est violent. C'est saignant. Cruel et lucide. «Je ne veux pas me réincarner, fait-elle dire au personnage central de son dernier livre. J'espère que la mort est finale comme une solution nazie...»

Mais on débusque entre ces lignes noires, lues d'un seul trait ou en diagonale, un immense désir de ne pas lancer de bouée au passé, de le brûler, de le noyer, et de tout commencer de la vie.

En artiste véritable, sans ostentation, en toute humilité, elle assume sa responsabilité: «Même si je pense des choses pas très belles, elles existent.» Écrire est un appel pour en témoigner. Chez elle, cela se traduit par des traits forts, durs, mais sensibles. «Le succès, surtout auprès des jeunes, m'a surprise avec ce dernier roman, car c'est un roman difficile, des histoires pas très joyeuses.»

À 48 ans, à l'approche de la cinquantaine, un million de questions existentielles se bousculent dans sa tête et son âme. À l'avenir, quelle sera la place de l'écriture? Celle de l'enseignement?

Énigmatique

Elle se prépare à écrire sur Roland Barthes, un des écrivains qu'elle présentera à ses étudiants à la rentrée. «J'ai adoré enseigner.» Pourquoi prononcer cette déclaration au passé? Elle répond: «Est-ce que je peux encore donner? Vais-je avoir la générosité de partager mon expérience? Ce sont les questions que je me pose.» Dans un souffle, elle ajoute: «Enseigner est un travail de longue haleine. On ne connaît pas ce qui reste. Pourtant, je crois au temps et à son oeuvre.» Ce trac honore un professeur passionné.

Pensive, elle ajoute: «J'essaie de voir le jour où je ne pourrais pas écrire...» Que l'on se rassure, un nouveau roman est en préparation, du moins ébauché suffisamment durant l'été pour qu'elle puisse le reprendre sans difficulté après ses heures d'enseignement, à l'automne. Elle explique sa démarche: «J'aime la contradiction en écriture comme dans la vie. La littérature a le droit d'être dans le paradoxe, elle peut montrer deux visages. Elle a des droits. Dont celui de montrer le négatif.»

«Le passé nous hante. Mais la littérature est plus grande que le moi.» Avec l'expérience, elle peut affirmer que l'écriture est peut-être, jusqu'à maintenant tout au moins, «la partie la plus douloureuse» de ses activités. Il y a un peu d'elle-même dans toutes ces pages. Il y a aussi cet «autre» que l'on porte en soi. «J'aime que la littérature soit porteuse. C'est le lieu pour porter le malheur des autres, la douleur du monde, un lieu où la souffrance a le droit d'exister. Mais moi, je suis une pessimiste qui rit d'elle-même. Alors je crois que l'on peut aussi être drôle en littérature.»

Née à Chicago le 7 janvier 1961 d'une mère française et d'un père grec, elle a été «une enfant hyper sage». Elle a beaucoup voyagé jusqu'à ses 7 ans, moment où elle arrive à Montréal et termine sa deuxième année au collège Marie-de-France. Son passé, sa vie de famille comme petite fille sont pleins de quelques fantômes et horreurs. Alors un jour, elle a fait une dépression. Mais elle s'est soignée. Elle avait conservé de ces passages douloureux de sa vie une colère qui ne semblait pas vouloir se taire. «Je ne suis plus en colère, aujourd'hui», rassure-t-elle. À part les fois où elle est placée devant l'injustice, la paresse, le mensonge, la mauvaise foi.

Battante et fière, Catherine Mavrikakis ne se sent pas protégée. Elle doit donc tout vaincre elle-même. Elle reste écorchée.