Depuis ses premières années d'enseignante de maternelle, Carmen Bourassa, productrice et conceptrice d'émissions jeunesse à Téléfiction, a consacré plus de 43 années de sa vie à la promotion de la pédagogie et de la culture par le truchement de la télévision destinée aux enfants.

À travers elle, les enfants québécois ont obtenu une place de choix, cette année, au 24e gala des prix Gémeaux: Carmen Bourassa a reçu hier le Grand Prix de l'Académie, qui vient couronner une série de reconnaissances de ses pairs, dont une quinzaine de prix Gémeaux remportés au cours des années, notamment pour la série Cornemuse.

La Presse et Radio-Canada soulignent les qualités exceptionnelles de cette pionnière en lui décernant le titre de Personnalité de la semaine.

Les enfants d'abord

«Je reçois ce prix avec humilité, dit-elle. La télévision est un travail d'équipe. Je suis redevable aux équipes avec lesquelles j'ai travaillé.»

À son actif, plus d'un millier d'émissions de télé et quatre films. Un bilan impressionnant.

Le premier et fondamental souci de sa vie: «Prendre soin des enfants.» Elle a mis ses talents et son énergie à atteindre son objectif.

Coconceptrice des 125 premières émissions de Passe-Partout, Carmen Bourassa a ajouté à son palmarès de nombreux autres succès, dont Pop citrouille, À plein temps, Zap, Graffiti, Pin-Pon et Toc toc toc, pour ne nommer que ceux-là. Elle a également dirigé le premier projet de téléréalité au Québec, l'émission Pignon sur rue. L'éventail des âges de l'enfance a été soigneusement alimenté par ses projets.

Toute cette belle histoire commence en 1963 alors qu'elle obtient son brevet d'enseignement à l'École normale Christ-Roi, à Trois-Rivières, où elle est née. Elle enseigne à la maternelle, poursuit ses études. Elle s'engage partout où elle passe, notamment au ministère de l'Éducation, parce que c'est sa nature profonde de vouloir changer ou améliorer les choses.

Déjà l'idée d'utiliser la télévision comme outil pédagogique germe et devient impérative.

«La télévision a une grande influence sur les enfants», rappelle-t-elle. La langue utilisée dans les émissions est soignée, c'est une préoccupation majeure. Mais, de plus, «les émissions pour enfants donnent des outils aux parents. Elles sont également un facteur de cohésion et d'intégration des enfants venus d'ailleurs, qui se reconnaissent à travers les mêmes valeurs».

À la maison aussi

Du plus loin qu'elle se souvienne, elle a toujours été entourée d'enfants. Aînée d'une fratrie de sept enfants, elle apprend très tôt des règles de partage, mais surtout de tolérance. La famille vit dans un milieu ouvrier de Trois-Rivières où la règle d'or est d'ouvrir la maison à tous, dans un esprit rassembleur. «J'avais des parents merveilleusement intelligents de coeur, dit-elle. À 6 ans, à Pâques, j'ai vu passer dans la rue une petite fille mal habillée à qui j'ai fait remarquer que son collier n'allait pas du tout avec sa tenue. Mon père a dit à ma mère de me vêtir de mes vêtements de jeu les plus usés. Et c'est ainsi que j'ai traversé l'allée centrale de l'église. «Maintenant, tu sais ce que ressent la petite fille qui n'a pas les moyens d'avoir des vêtements neufs même si c'est Pâques», m'a-t-il dit. La leçon a porté!»

Sa reconnaissance va plus loin car, contrairement à ce qui se passait dans bien des familles nombreuses: «Je n'ai jamais eu à sacrifier ma vie pour mes frères et soeurs.»

Plus tard, mariée, elle a adopté deux garçons. Et elle a donné naissance à un troisième. Les difficultés des enfants dyslexiques, dysorthographiques, pas comme les autres, elle les a vécues. «La société accepte mal les enfants qui ont de la difficulté.» Sa forte personnalité la porte sur de nombreux champs de bataille, où sa sensibilité, son empathie lui valent quelques victoires. Mais les parents de ces enfants, qui ont des droits, doivent encore continuer une lutte quasi quotidienne pour les services. «Et je comprends, pour avoir été enseignante moi-même, que les profs sont débordés, ne peuvent pas tout régler.»

En décembre 1999, on lui diagnostique un cancer du sein. Opérée en 2000, récidive en 2001. Elle va bien maintenant. Mais quel combat, là aussi! «S'approprier son nouveau corps» a été une démarche ardue où son conjoint joue un rôle déterminant d'amour et de respect. Elle a fait le choix de vivre.

«J'ai eu une enfance heureuse, c'est fondamental. Je suis une femme chanceuse. Et je suis très nourrie par l'affection de mes enfants et petits-enfants.»

Elle n'a pas pris de retraite - peut-être un tout petit ralentissement à l'horaire, mais 100% d'engagement.

«L'une de mes plus belles réussites? Avoir réussi à transmettre la passion des enfants à beaucoup de gens. Je n'ai jamais dérogé de ma cible. Et la télévision c'est prendre soin des enfants à des centaines de milliers d'exemplaires.»