Après cinq ans de recherche, le biologiste moléculaire Gilbert Bernier, aidé de son équipe de chercheurs de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, vient de réaliser une importante découverte qui pourrait mener un jour à la création d'un traitement contre le cancer du cerveau. Une maladie pour laquelle, depuis 20 ans, on n'a pas trouvé de traitement qui permette d'augmenter l'espérance de vie des patients. Ceux-ci meurent en général moins d'un an après avoir reçu leur terrible diagnostic.

Tout a commencé par un deuil. Il y a sept ans, le beau-père du Dr Bernier est décédé du cancer du cerveau. C'est alors que le chercheur a constaté à quel point la science avait peu de solutions à offrir aux personnes atteintes de cette maladie.

«J'ai été abasourdi par le peu de ressources que les médecins avaient pour traiter ce cancer, dit-il. Je n'avais jamais travaillé sur le cancer, mais je me suis dit: ça n'a pas de bon sens. Je suis un chercheur, on va regarder ce qui se passe. Nous avons récolté des échantillons de tumeurs de patients opérés pour ce cancer à l'hôpital et créé une banque de cellules tumorales afin de les étudier.»

Son équipe et lui viennent de réaliser une percée majeure dans la compréhension des mécanismes de résistance des tumeurs cérébrales aux traitements de radiothérapie. Les résultats de leur recherche ont été publiés dans le dernier numéro du Journal of Neuroscience.

Pour cette réussite scientifique remarquable, La Presse et Radio-Canada nomment le Dr Gilbert Bernier Personnalité de la semaine.

S'attaquer au gêne coupable

Au centre de recherche de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Dr Bernier dirige une équipe de sept à huit collaborateurs hautement qualifiés qui se penchent sur trois axes de recherche: le vieillissement du cerveau et les maladies qui en découlent, la vision et les maladies comme la dégénérescence maculaire, et le cancer du cerveau.

Ils ont découvert qu'un gène, le BMI1, très présent dans certaines tumeurs malignes du cerveau, jouait un rôle important dans la réparation de l'ADN des cellules cancéreuses. Il aide ainsi ces cellules à résister aux traitements de radiothérapie.

«Ces cellules cancéreuses sont plus efficaces pour réparer leur ADN que les autres, explique le biologiste. Elles résistent au traitement et ne meurent pas, alors elles forment des tumeurs de nouveau. Cette fonction du gène BMI1 n'avait jamais été décrite auparavant.»

À partir de cette découverte, on pourra entreprendre la prochaine étape: mettre au point un traitement.

«Nous voulons trouver des molécules ou d'autres méthodes pharmacologiques pour inhiber la fonction de ce gêne dans les cellules cancéreuses, dit le docteur. Si on pouvait trouver une molécule qui serait infusée dans le cerveau des patients, en combinant cela avec la radiothérapie ou la chimiothérapie classiques, on pense que ça permettrait la destruction complète de la tumeur. C'est là où on en est.»

Une compétition mondiale

Mais l'équipe du Dr Bernier n'est pas la seule à s'être penchée sur la question. Une dizaine de laboratoires de recherche dans le monde travaillent sur le même sujet.

«En général, c'est le premier à publier qui gagne la course, car sans publication, un chercheur n'est rien. Cette fois, c'est nous. On avait des indications que d'autres laboratoires aux États-Unis et aux Pays-Bas étaient exactement sur la même piste, et on avait peur qu'ils nous devancent. Ce sont de grands laboratoires comparativement au nôtre. Mais on leur a damé le pion, et on est bien contents!» dit-il avec des étincelles dans le regard.

C'est que la compétition fait partie des facteurs de motivation du chercheur. «C'est important dans notre métier, il faut arriver premier de temps en temps. La beauté de la chose, c'est que ça force les gens à aller plus vite, plus loin, à être meilleurs. Ça les oblige à avoir de nouvelles idées et à évoluer. C'est pour cela, et aussi grâce aux moyens de communication modernes, que la science avance vite à notre époque.»

Le scientifique svelte et alerte de 41 ans avoue se sentir très à l'aise dans cet environnement. «J'ai toujours eu un esprit compétitif. Quand j'étais jeune, je faisais de la compétition de vélo, avec les Espoirs de Laval. Ça m'a donné le goût de me dépasser.»

Aujourd'hui, s'il fait encore du sport pour le plaisir, il consacre néanmoins énormément de temps à lire et à réfléchir aux problèmes qui lui sont posés par la science.

«C'est un processus intellectuel de compréhension. Il y a un problème à résoudre. Je passe parfois des journées à lire de longs articles scientifiques. C'est comme un casse-tête géant, on émet des hypothèses, et parfois des idées surgissent en faisant autre chose, ou en pleine nuit, après avoir macéré dans le cerveau. Quand j'arrive au laboratoire le lendemain, je dis: il faut qu'on essaie telle chose. Et j'ai une équipe formidable sans laquelle il serait impossible de réaliser tous ces travaux.»

Cette soif de comprendre comment fonctionne la nature ne date pas d'hier. «J'ai toujours eu cette passion pour les sciences naturelles, dit-il. Enfant, j'avais une immense collection de roches, de papillons et d'insectes. Ma principale motivation est que j'adore mon métier, je n'ai pas de mérite pour ça.»

Mais les chercheurs auront beau avoir les meilleures idées du monde, s'ils n'ont pas d'argent, ils ne pourront pas les concrétiser, ajoute-t-il. «Le Canada n'investit pas assez en recherche. On dépense davantage pour de l'armement et pour aller en Afghanistan que pour la recherche en santé.»