Trois membres du Club de triathlon de Saint-Lambert ont eu le courage de se remettre en selle quelques semaines après l'accident qui a coûté la vie à trois de leurs compagnes d'entraînement, sur la route 112. Ils ont réussi à pédaler de nouveau, et surtout ne pas renoncer à leur grand objectif: disputer l'Ironman de Lake Placid.

Le 25 juillet dernier, ils étaient 2611 fous, à Lake Placid, à jouer du coude sur terre et dans l'eau, à vouloir réussir le meilleur temps. Pour finir un Ironman dignement, il faut une volonté de fer, des nerfs d'acier, un corps en béton. Le moteur de l'exploit est la volonté d'aller au bout de soi, au bout de son corps: 3,8 km de natation, 180 km de vélo, 42,2 km de course à pied. Trois personnes parmi tous les participants ont obtenu des résultats remarquables, compte tenu qu'elles ont failli ne pas être là. Ce sont les survivants de l'accident de la route 112: Karine Desormeaux a réussi l'épreuve en 16h03; France Carignan en 13h12 et Jean Dessurault en 11h51. Leur exploit témoigne d'un grand courage que La Presse et Radio-Canada soulignent en leur accordant le titre de Personnalité de la semaine.

Des héros

«Je tombe. Je me lève. Où suis-je? Plus de couleur dans ma vision. Suis-je vivant?» Ce sont les premières pensées de Jean, de Karine, de France au moment de l'impact. Bras et jambes, dos, hanches. Hématomes géants. Mais vivants!

Autour d'eux des vélos tordus, après l'impact, le silence. Trois compagnes gisent.

Nous nous sommes dit d'un commun accord au moment de l'entrevue que nous ne reviendrions pas sur l'accident qui a coûté la vie à Lyn Duhamel, Christine Deschamps et Sandra De La Garza Aquilon. Pourtant il faut bien évaluer où ils en sont trois mois plus tard. Comment font-ils pour retrouver les muscles de leur raison? «Il faut le faire pour soi. C'est une passion, le triathlon. Il ne faut pas rester dans le syndrome du survivant, car ça prend tout l'espace. Oui, ça a frappé fort. Oui, ce fut un choc épouvantable.»

Pour ces grands sportifs, il est clair qu'ils ont été protégés. Le temps qui passe les ramène doucement à la vie. Une immense soif de vivre! Une impulsion qui doit les conduire droit devant, comme lorsqu'ils roulent sur la route. Ils ont déjà fait un bilan personnel de ce qu'ils ont traversé. Comment vivent-ils leur vie épargnée, maintenant et dans l'avenir?

La direction de l'Ironman de Lake Placid leur a décerné le titre d'Everyday Heroes, ce qui leur a permis d'avoir des attentions particulières, de se détacher du peloton des 2 660 participants, d'être applaudis, admirés, consolés. «Nous avons reçu beaucoup de soutien, de gratification. Il y a comme un mouvement d'énergie qui pousse des personnes à aller plus loin que juste l'intention de s'entraîner», analyse France Carignan, avocate et agente d'immeubles.

La force intérieure

Quelques semaines après le drame, dès le mois de juin, les triathlètes ont eu l'irrésistible goût de leur vélo, de la reprise de l'entraînement. Avec l'Ironman qui approchait, l'objectif commun de l'équipe de triathlon était que tous soient présents à Lake Placid. Il a fallu décider d'y aller quand même, espérer obtenir un résultat honorable en l'honneur de leurs compagnes qui ont perdu la vie.

De les amener là où elles n'ont pu se rendre.

D'où tiennent-ils leur motivation pour se fixer le défi de l'Ironman? Jean est médecin et, qui plus est, cardiologue. La bonne forme physique qu'il prêche pour faire obstacle à l'infarctus, il la pratique lui-même depuis fort longtemps.

Karine, technicienne en travail social, avait 25 ans lorsqu'elle a décidé de changer sa vie, il y a six ans. Elle venait de grimper une montagne et, arrivée au sommet, essoufflée et faible, elle a cru ne jamais pouvoir maîtriser les battements de son coeur. Il y avait lieu de s'inquiéter: «Je pesais 300 livres!»

Elle tient à en témoigner. Elle a sauté dans la marmite de l'entraînement, «drogue saine», et a fait preuve de discipline personnelle.

Partager la route

Comment oublier des années d'entraînement, d'opiniâtreté, de douleurs, de victoires? Or, les routes du Québec signifient la tension et la peur. Le circuit Gilles Villeneuve est le seul endroit satisfaisant pour s'entraîner, parce qu'il n'y a pas d'autos. «Entre auto et vélo, parfois, c'est la guerre larvée. Gestes disgracieux et commentaires haineux sont trop souvent l'apanage de ceux qui se croient les rois sur la route.» Certains cyclistes font preuve d'inconscience et d'imprudences, certes. Mais il ne faut pas oublier qu'ils sont plus petits, à découvert, par conséquent plus vulnérables...

Voilà pourquoi ils ont décidé de créer un pont entre les uns et les autres. L'organisme Je partage la route, mouvement créé par la femme d'un cycliste qui a péri, happé par une auto en Ontario, est désormais leur champ d'action. Au Québec, ce sera la fondation Je partage la route, dont le premier objectif est celui de faire transformer la structure des routes pour les rendre plus sûres.

«L'accident a créé une brèche. Que dois-je retenir? Tout peut finir si vite! On n'est pas invincible. Comment faire pour être en paix?» se demande Karine qui a décidé de prendre tous les moyens pour être heureuse.

France: «Je m'alimente à la source de vie que fut Christine, je tente de revenir à moi.»

«J'ai failli mourir, dit Jean. Ma vision de la vie change. Rien ne va plus me résister. Et quand je mourrai à mon tour, je n'aurai pas de regrets.»

C'est une passion, le triathlon. Il ne faut pas rester dans le syndrome du survivant, car ça prend tout l'espace.