Ces quatre chercheurs au Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l'INRS ont un rêve: faire rouler les voitures sans avoir recours au pétrole. Leur découverte s'est classée 7e sur les 10 percées scientifiques les plus importantes de l'an dernier au Québec.

Faire rouler les voitures sans avoir recours au pétrole, c'est l'un des grands défis techniques et scientifiques de notre époque. Au cours des dernières années, le professeur Jean-Pol Dodelet et ses collègues, Michel Lefèvre, Éric Proietti et Frédéric Jaouen, chercheurs au Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l'INRS, ont franchi une étape importante dans cette quête en développant un catalyseur moléculaire inédit pour les piles à combustible, ce qui permettra de fabriquer ces dernières à moindre coût.

Actuellement, les catalyseurs des piles à combustibles utilisées dans les prototypes de véhicules à hydrogène sont à base de platine, un matériau rare qui coûte extrêmement cher, soit 1150$ l'once. Ce prix élevé est un obstacle majeur à la production à grande échelle de véhicules à hydrogène, qui ont pour avantage principal de n'émettre aucun gaz à effet de serre.

L'équipe du professeur Dodelet a mis au point un catalyseur à base de fer et démontré que ce métal, très abondant sur terre et ne coûtant que de deux à cinq dollars la livre, pourrait représenter une alternative au platine dans les piles à combustible destinées au transport. Les résultats de leurs travaux ont été publiés dans le magazine Science d'avril 2009. Leur découverte s'est classée au septième rang des dix percées scientifiques les plus importantes réalisées au Québec l'an dernier, et au 74e rang des 100 découvertes de l'année 2009 par le magazine américain Discover.

La Presse reconnaît l'importance de cette avancée scientifique remarquable en leur accordant le titre de Personnalité de la semaine.

Vingt ans de recherche

Il y a vingt ans, Jean-Pol Dodelet, physico-chimiste à l'INRS, s'est intéressé aux problèmes énergétiques à la suite d'un stage en France financé par le gouvernement canadien, qui avait décidé d'injecter des fonds dans la recherche sur l'énergie.

Ce Belge d'origine, arrivé au Canada en 1969, avait auparavant travaillé, entre autres, dans l'énergie solaire. Il est passé progressivement au domaine des catalyseurs à partir de cette époque. Mais avec le temps, l'intérêt des gouvernements pour l'énergie s'était émoussé et les projets se faisaient plus rares.

«En 2000, on m'a dit: jamais personne ne va mettre un sou dans ce que tu fais, se souvient-il en riant. Trois ans plus tard, Toyota et GM frappaient à ma porte, sans que j'aie eu à les contacter.»

Les fabricants automobiles ont vu venir la transition qui s'amorce lentement entre le véhicule à moteur conventionnel et les prochaines générations. Ils savent qu'ils n'ont pas le choix d'évoluer. Jean-Pol Dodelet a alors choisi de travailler avec GM, parce qu'en raison de la présence de manufacturiers au Canada, il était possible de faire doubler les subventions. Il a ainsi été nommé titulaire principal de la Chaire industrielle CRSNG-General Motors du Canada en électrocatalyse appliquée aux piles à combustion à membrane électrolyte polymérique, pour une durée de cinq ans, soit de 2004 à 2009.

«Nos recherches ont progressé rapidement au cours des cinq dernières années car nous avions un demi-million par an en financement, dit-il. Cela fait vingt ans que je travaille sur les catalyseurs, mais à un certain moment, des gens de l'industrie ont réalisé qu'il ne s'agissait pas de quelque chose d'exotique. J'étais à la bonne place au bon moment: un spécialiste dans un secteur qui est devenu en demande.»

Des obstacles

Même si le professeur Dodelet prend sa retraite de l'INRS dans six mois, il compte rester actif. Pour quelques années, il a l'intention d'aider ses deux collègues, Michel Lefèvre et Éric Proietti, au sein de Canetique, la nouvelle entreprise issue de leur découverte.

«Des brevets détenus par l'INRS ont été émis sur la méthode de fabrication et Canetique aura la licence d'exploitation pour produire le catalyseur et le vendre à des fabricants de piles à combustible», explique Michel Lefèvre.

Toutefois, si des applications commerciales sont déjà possibles pour le catalyseur dans certains types de piles, des obstacles restent à franchir pour qu'il puisse être utilisé par l'industrie automobile. Car pour l'instant, la durée de vie du catalyseur pose encore problème. Ce catalyseur, une membrane noire et carrée de quelques centimètres, perd de son efficacité après 100 heures. Or, pour une pile à combustible de voiture, il lui faudrait être stable pendant au moins 5000 heures. Un obstacle que les chercheurs estiment pouvoir franchir d'ici deux à trois ans.

Être lucide

Selon la communauté scientifique, les réserves de pétrole facilement accessible seront épuisées d'ici 40 à 50 ans. C'est pourquoi on assiste présentement à une explosion dans la recherche pour trouver des solutions de rechange.

«L'un des grands reproches que les générations futures pourront faire aux nôtres, ce sera d'avoir brûlé les réserves de pétrole», dit Jean-Pol Dodelet. Sent-il le poids d'une telle responsabilité sur ses épaules? «Je pense qu'en tant que scientifiques, on est tout simplement lucides alors que beaucoup de gens se voilent la face, dit-il. Il est absolument impossible de continuer à vivre comme nous le faisons, avec seulement le pétrole. Il va falloir autre chose, et ce sera l'électricité, le nucléaire, le solaire et ses dérivés.»

En 2000, on m'a dit: jamais personne ne va mettre un sou dans ce que tu fais. Trois ans plus tard, Toyota et GM frappaient à ma porte, sans que j'aie eu à les contacter.