Tandis que les Québécois se précipitent en grand nombre vers le sud dès qu'un coup de froid survient, le professeur Joël Bêty, biologiste chercheur à l'Université du Québec à Rimouski, entreprend en compagnie de son équipe sa migration vers le Grand Nord. Depuis une quinzaine d'années, ce grand spécialiste de l'écologie arctique étudie avec méthode les raisons pour lesquelles les oiseaux affrontent mille périls pour atteindre leur destination nordique. La Presse et Radio-Canada soulignent l'apport scientifique unique du biologiste Joël Bêty en le nommant Personnalité de la semaine.

On a répertorié pas moins de 10 000 espèces d'oiseaux dans le monde et la moitié d'entre elles sont des passereaux: moineaux, merles, corbeaux, etc. Pour ce qui est des limicoles, appelés familièrement oiseaux de rivage et qui comptent 25 espèces, le scientifique Joël Bêty a déjà constaté que leur population avait décliné de 80%. «Ce sont donc ces oiseaux-là qui ont servi de base à la recherche», explique le scientifique, dont les résultats des études ont été publiés récemment dans les magazines Science et Québec Science. L'émission radiophonique Les années-lumière, diffusée à Radio-Canada, lui a décerné le 20 janvier le titre de Scientifique de l'année 2010.

Refuge plus sûr

Certains oiseaux n'hésitent pas à parcourir des milliers de kilomètres vers le Grand Nord, jusqu'à 20 000 km pour les sternes, de la pointe de l'Amérique du Sud à l'Arctique. Une lumière du jour presque constante en cette saison arctique, les ressources alimentaires généreuses, la faible abondance de parasites sont des explications généralement admises par les scientifiques pour comprendre la migration. Joël Bêty et son étudiante au doctorat Laura McKinnon, ainsi que plus d'une trentaine d'experts disséminés de la baie James au nord de l'île Ellesmere, à plus de 3500 km de distance, proposent une hypothèse nouvelle.

«On a créé 1555 nids artificiels dans lesquels on a déposé 8000 oeufs de caille qui ressemblent à ceux des limicoles. Combien de temps pouvaientils survivre aux prédateurs, notamment le renard ? La migration des oiseaux, de plus en plus haut vers le nord, et malgré tous les risques inhérents, permet d'augmenter les chances d'éclosion des oeufs, selon ce qu'on a démontré. C 'est-à-dire que plus ils montent vers le nord, moins ils sont victimes de prédation, explique succinctement le professeur. Le résultat est clair. Chaque degré de latitude gagné vers le nord diminue de 3,5% le taux de prédation. Entre le nid le plus au sud et celui le plus au nord, la survie des oeufs grimpe à 65 %.» Il faudra tenir compte du réchauffement de l'Arctique pour observer d'autres changements.

Au milieu de nulle part

Il va de soi que l'expérience doit être répétée année après année. «Des campements rudimentaires sont installés pendant au moins trois mois, au beau milieu de la toundra. Tout se fait à pied, sac au dos. On doit être en bonne forme physique. C'est une vie rudimentaire qui nous en apprend beaucoup sur nousmêmes, sur notre interaction avec les autres. Car tout se fait en équipe.» Joël Bêty admet qu'il diminue maintenant son temps de séjour, car il est père de trois jeunes enfants.

Né à Sa i nt-Na rc isse-de-Lotbinière, le scientifique de 37 ans a apprivoisé la nature et les animaux à travers la chasse aux oies blanches et à la perdrix. «Depuis que je suis adolescent, j'ai toujours été fasciné par les interactions entre les animaux. Comprendre leur comportement est une action intense, intime.» Il a pensé un jour devenir astronaute. Rêve de courte durée. «À 14 ans, je faisais venir des fiches d'inscription en biologie.» Concentré, passionné, il a été un étudiant brillant à toutes les étapes de sa vie. «À mon avis, tout est plus facile quand on sait où on s'en va.»

L'un de ses principes de vie les plus forts est le respect, qui commence avec soi, se poursuit avec les autres et l'environnement, une valeur dont il voudrait que ses enfants s'inspirent. Il revient sur ce que le Grand Nord lui apporte et lui apprend sur lui-même. «C'est avant tout une attitude à acquérir. On ne peut rien contrôler dans ce milieu imprévisible. Un milieu qui nous rappelle qu'on est très petit au sein de paysages vastes à couper le souffle. Il faut rester ouvert, disponible, les sens en éveil et revenir à l'essentiel «, conclut cet homme dont l'admiration est sans limites devant la nature et la vie.