Le programme Crise-Ado-Famille-Enfance (CAFE) a été créé en Montérégie, il y a une douzaine d'années, pour soutenir les familles en situation d'urgente détresse, et ce, tous les jours de l'année, à deux heures d'avis. François Rabeau, directeur général du centre de santé et de services sociaux du Suroît, André Cadieux, directeur général adjoint du Centre jeunesse de la Montérégie maintenant à la retraite, et Sonia Gilbert, directrice de la protection de la jeunesse de la Montérégie, ont créé un projet novateur, visionnaire. La Presse et Radio-Canada, à l'occasion de la fin de la semaine de la famille, les nomment Personnalités de la semaine.

En dépit des grandes joies qu'elle procure, la famille d'aujourd'hui, pour d'autres motifs que les familles nombreuses d'autrefois, constitue un défi. Malgré les valeurs que les parents de bonne foi transmettent à leurs enfants, des états de crise peuvent survenir sporadiquement. De nombreux éléments, notamment ceux qui sont dus à la modernité, aux influences extérieures, entrent en ligne de compte. Sur quelle aide la famille peut-elle alors compter?

Le grand risque que courait la famille, il y a quelques années à peine, était qu'une crise qui n'était pas désamorcée à la source menait presque exclusivement au placement de l'enfant. «Le retirer de la dynamique familiale donnait l'illusion que le problème était réglé, que l'abcès était crevé. La Direction de la protection de la jeunesse était alors débordée et devait remettre à plus tard les dossiers importants, pour s'attaquer aux urgences», rappellent les fondateurs de CAFE.

Changement d'approche

Aujourd'hui, avec le programme CAFE, dès qu'un client téléphone pour demander de l'aide, un intervenant se rend directement à son domicile, à l'intérieur d'un délai de deux heures. Ce premier contact permet d'apporter un apaisement immédiat. Ensuite, les parties envisagent une évaluation en profondeur de la dynamique sous-jacente à la crise. Pendant les huit à douze semaines qui suivent, à raison de deux ou trois interventions par semaine. Cette manière engagée de faire les choses permet de recréer l'équilibre, sans recourir systématiquement à la Direction de la protection de la jeunesse.

Depuis les débuts, ce sont plus de 850 familles qui ont été suivies et maintenues. Et selon l'évaluation scientifique des chercheurs de l'Université de Sherbrooke, l'intervention de CAFE a permis d'atteindre les objectifs de règlement des conflits familiaux dans près de 80% des cas. Les intervenants doivent certes conserver une collaboration étroite avec les services psychosociaux des centres de santé et de services sociaux, le milieu scolaire, la DPJ, les équipes de santé mentale et les autres ressources communautaires si, le cas échéant, un membre de la famille a besoin de l'un de ces services.

Confiance mutuelle

Après de profondes réflexions, l'équipe des trois membres fondateurs partageait une vision nouvelle de celle du système en place, pour venir en aide aux enfants et à leur famille. Il leur semblait plus logique et plus humain de mettre en oeuvre un service qui allégerait le poids des dossiers de la Direction de la protection de la jeunesse - 6000 signalements sont faits par année au Québec. Et créer, à partir d'une vision commune, «la volonté de faire autrement, d'être accessible. D'être présent au début de la crise».

En 1999, animés d'une véritable passion pour leur travail - d'une mission, pourrait-on ajouter -, malgré tout conscients de leur marginalité, ils ont maintenu le cap avec le programme CAFE, qui brassait sérieusement la cage. Ils ont appris à se faire confiance mutuellement, à maintenir une sympathie véritable et un contact humain tricoté serré pour affronter les difficultés qui ont été nombreuses au début. «Le recrutement de personnel était déjà tout un défi. La révision des pratiques psychosociales habituelles aussi.»

À ce jour, 32 intervenants font partie de l'équipe de CAFE. «Ce sont de jeunes spécialistes pour la plupart et, le plus important, ils ont choisi d'être là et d'accorder aux êtres en détresse leur appui indéfectible.» Ici, les fondateurs tiennent à rendre hommage à Johanne Fleurant qui est, à leur avis, un leader et un phare.

François Rabeau, André Cadieux et Sonia Gilbert ont chacun leur propre famille composée d'enfants. Et même de petits-enfants. Ils totalisent ensemble plus d'une centaine d'années d'expérience en services sociaux. La tâche est complexe. «La famille d'aujourd'hui n'est plus la même que celle du XIXe siècle. Même si certaines valeurs ont survécu. Le modèle a changé, s'est multiplié.»

Leur initiative n'a pas pour but de se substituer à la famille, loin de là. «Nous sommes de plus en plus convaincus de la nécessité de sensibiliser la communauté à retrouver un sens à l'entraide, au partage. À casser l'indifférence. C'est ainsi que les services officiels pourraient être moins nombreux.»

Un fait demeure: «La famille sera toujours un lieu d'appartenance. On doit maintenir la tribu. Il faut tout mettre en oeuvre pour la sauver et la maintenir. N'oublions pas que c'est la seule chose qui reste quand plus rien ne va!»

Nous sommes de plus en plus convaincus de la nécessité de sensibiliser la communauté à retrouver un sens à l'entraide, au partage.