De nature volubile, la docteure Lyne Desnoyers avoue cependant qu'elle n'a jamais vraiment parlé d'elle. «Sauf depuis les deux dernières semaines, souligne-t-elle. Je suis une femme bien ordinaire.» Oto-rhino-laryngologiste (ORL) et chirurgienne cervicofaciale au CHUM, elle travaille de 12 à 16 heures par jour. Disponible sept jours sur sept, elle ne refuse jamais un patient, acceptant même les itinérants qui n'ont pas de carte d'assurance-maladie. Dre Lyne Desnoyers est une femme simple, tout simplement passionnée par son travail. Elle habite toujours le trois et demi qu'elle a loué au début de ses études de médecine, il y a presque 30 ans. «Ça me permet de me rendre à pied au travail en moins de 10 minutes», ajoute-t-elle en riant.

Lyne Desnoyers ne vient pas d'une famille de médecins, ni d'un milieu aisé. «J'ai fait ma médecine grâce à la gratuité des écoles et avec les prêts et bourses du gouvernement. Mon père était livreur de bière pour la brasserie Molson. Et je mangeais des sandwichs au beurre d'arachide pour le lunch.» L'attrait pour la médecine lui vient très jeune. Sa soeur, Sylvie, a souffert d'un manque d'oxygène à sa naissance et les visites à l'hôpital ont été très fréquentes. «Mes parents m'installaient dans la salle d'attente avec des crayons à colorier et du papier. Moi, je voulais voir des changements de pansements, des injections, du sang. Ça m'a toujours fasciné.» Sa soeur et son père, tous deux maintenant décédés, ont été deux grandes sources de motivation. «Mon père me disait: toi, tu as tout ton cerveau, tes deux mains, tu as une chance extraordinaire, tu ne dois pas la gaspiller.»

Dr Azar, un modèle

C'est le Dr Antoine Azar, le regretté chef du département d'ORL du CHUM, qui lui donne sa première chance. «Il m'a dit de lui montrer de quoi j'étais capable. Les autres médecins disaient que j'allais tomber enceinte et que je ne pourrais pas faire mes gardes. Je ne me suis jamais marié, je n'ai pas eu d'enfant, je n'ai jamais été malade. Je n'ai jamais manqué un tour de garde de toute ma vie.» Elle travaillera aux côtés du Dr Azar, son mentor, jusqu'à son décès en mai 2010. «C'était et c'est encore un modèle. C'était un homme dévoué, disponible, attentif: le médecin parfait. Je ne pourrai jamais être aussi bonne que lui.» En plus d'aider les patients, la chaire de recherche est aussi un moyen d'honorer sa mémoire. «Je trouvais qu'il méritait plus qu'une plaque commémorative à l'entrée de l'hôpital», souligne-t-elle. Elle a porté ce projet à bout de bras durant les six derniers mois. «Si vous saviez le nombre de gens qui ont refusé de m'aider au début. Mais je n'ai jamais lâché, je n'avais pas le droit.»

Quand on lui parle de René Angélil, un ancien patient du Dr Azar, le docteur Desnoyers n'a que des bons mots. «Il aimait beaucoup Dr Azar. Et les patients avec le même type de cancer s'identifient à lui. Quand je leur annonce que la radiothérapie va irradier leurs glandes salivaires et les contraindre à traîner une bouteille d'eau pour soulager leur bouche sèche, ils me répondent souvent: 'Comme Monsieur Angélil?' Grâce à lui, ils savent qu'ils peuvent s'en sortir. Il fallait absolument que je réussisse à aller le chercher», avoue-t-elle. La présence de cette figure publique de grande notoriété est un apport capital à ce projet de chaire.

Une équipe dévouée

Le docteur Lyne Desnoyers n'aurait pas pu porter son projet à terme sans le support inconditionnel de l'équipe de médecins-ORL du CHUM. Cette équipe croit en l'importance de faire de la recherche. Bien que le taux de survie frôle les 60%, les traitements en oncologie ORL peuvent être très mutilants. Un cancer des sinus peut faire perdre un oeil, le nez ou une partie de l'oreille. Une tumeur aux ganglions peut nécessiter que l'on enlève une partie du visage. Les traitements sont difficiles puisqu'ils touchent des fonctions essentielles: la vision, la respiration, le goût, la déglutition et l'odorat.

L'équipe, d'une solidarité à toute épreuve, a convaincu le Dr Apostolos Christopoulos d'aller se spécialiser à Pittsburgh. Ce dernier est pressenti pour devenir le titulaire de la chaire. Souhaitant qu'il revienne au Québec après sa formation, toute l'équipe s'est cotisée pour payer une partie de son salaire afin qu'il puisse se consacrer à la recherche sans accuser de perte de revenu. Les médecins-ORL ont aussi fait un don pour soutenir les travaux de la chaire. Sur une base personnelle, ils ont remis près de 200 000 dollars afin d'offrir l'espoir à leurs patients.

La chaire Dr Azar/Angélil souhaite maintenant recueillir 3 millions de dollars pour soutenir les travaux de recherche. Près de 2 millions ont déjà été amassés. L'équipe de médecins-ORL et Dre Lyne Desnoyers poursuivent leur combat pour le bien de leurs patients.

Si vous saviez le nombre de gens qui ont refusé de m'aider au début. Mais je n'ai jamais lâché, je n'avais pas le droit.