Des infirmières des urgences de l’hôpital de Joliette, dans Lanaudière, lancent un cri du cœur : elles manquent de bras au point de risquer, selon elles, de mettre en danger la sécurité de leurs patients. En dernier recours, elles demandent la fermeture partielle des urgences.

« ​​Ce n’est pas drôle quand tu balayes l’urgence des yeux et que tu te demandes : quel patient on va échapper parce qu’on est trop débordées ? », dénonce Jessica Perreault, qui travaille depuis sept ans au Centre hospitalier régional de Lanaudière (aussi connu comme l’hôpital de Joliette).

Lisez la lettre « Urgences du Centre hospitalier de Lanaudière : les patients ne sont plus en sécurité »

Jeudi, le taux d’occupation des urgences de l’hôpital était de 185 %, selon les statistiques d’IndexSanté.ca, soit l’un des plus hauts au Québec. Mercredi soir, c’était encore pire : le taux d’occupation atteignait 191 %. Quand Jessica Perreault est arrivée pour son quart de travail, elle a constaté que ses collègues et elle n’étaient – encore une fois – que 12 infirmières, plutôt que les 20 requises pour assurer des soins sécuritaires.

Consultez les taux d’occupation dans les urgences du Québec

« L’employeur offrait comme solution qu’on prenne plus de patients, raconte-t-elle en entrevue téléphonique. C’était : absorbez, et arrangez-vous pour qu’il n’arrive rien [de grave]. »

Mais la responsabilité des soins retombe sur ses épaules, explique Mme Perreault. « La journée où il arrive quelque chose à un patient, c’est ma faute, pas celle du gestionnaire qui m’a dit d’en prendre de plus, assène-t-elle. C’est la mienne ! »

Dans les circonstances, ses collègues et elle ont refusé de travailler, demandant que les urgences soient partiellement fermées et que des patients soient déroutés vers l’hôpital Pierre-Le Gardeur. Une option refusée par l’employeur, affirme-t-elle.

Puis elles ont fait un sit-in – qui consiste à s’asseoir en signe de protestation – pour dénoncer la situation. Les infirmières du quart de jour ont dû continuer de faire des heures supplémentaires pour pallier leur absence.

« C’est dangereux », renchérit Mme Perreault, qui a déjà vécu un épuisement professionnel. « Je me sens coupable de partir, mais aussi de rester en donnant ces soins-là, en acceptant ça. J’ai l’impression d’avoir une guillotine au-dessus de la tête… »

Le CISSS de Lanaudière n’avait pas répondu à la demande d’information de La Presse au moment où ces lignes étaient écrites.

Une situation intenable

« Ce qui se passe, c’est un volcan prêt à exploser depuis longtemps, et là, ça explose », illustre Marie-Chantal Bédard, vice-présidente du syndicat interprofessionnel de Lanaudière (FIQSIL).

Mme Bédard décrit une situation critique à l’hôpital de Joliette, où les sit-in et le « temps supplémentaire obligatoire » (TSO) sont fréquents en raison d’un manque criant de personnel. « Et l’employeur continue d’offrir tous les services, même s’il n’a pas tous les employés pour le faire », soutient-elle.

La pénurie de main-d’œuvre a des conséquences directes sur les soins des patients. Le 28 juin dernier, 67 employés des urgences de l’hôpital ont signé une lettre ouverte que La Presse a pu consulter. Les exemples pleuvent :

« Qu’une patiente ait été retrouvée en arrêt cardiaque, alors qu’elle n’était pas dans une zone adaptée avec les surveillances requises. »

« Que des personnes très âgées attendent parfois de 48 à 72 heures dans les corridors de l’urgence. »

« Qu’une personne en fin de vie n’ait pas obtenu de chambre pendant plus de trois jours, de sorte qu’elle a vécu ses derniers moments dans un corridor, derrière un rideau. »

Marie-Chantal Bédard décrit même une employée atteinte de la COVID-19 qui a dû continuer de travailler en zone de réanimation, parce qu’il n’y avait personne pour la remplacer.

« Le but des salariés, c’est d’alerter la population, renchérit Mme Bédard. Ils se sont tournés vers leur employeur, vers la PDG de l’hôpital, vers nous, le syndicat. Rendus là, ils ont tout essayé. »

Respecter un ratio patients-soignant

La demande principale des signataires de la lettre ouverte est l’instauration de ratios entre soignants et patients « adaptés au taux d’occupation de l’urgence, conformément au Guide de gestion des urgences ».

La révision de ce ratio était d’ailleurs l’une des recommandations du rapport de la coroner Géhane Kamel en octobre 2021 à la suite de l’enquête sur la mort de Joyce Echaquan dans le même hôpital, l’automne précédent.

Une demande réitérée par une douzaine d’organismes et d’associations professionnelles en avril dernier.

Si l’hôpital ne réussit pas à accéder à leur demande, les employés demandent une fermeture partielle ou totale des urgences de l’hôpital, à l’instar de six autres urgences du Québec en partie fermées cet été.

« La situation est vraiment critique, pour vrai, assure Marie-Chantal Bédard. Les filles, elles n’en peuvent plus. »

En savoir plus
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    Nombre de quarts de travail réalisés en heures supplémentaires obligatoires (TSO) aux urgences du Centre hospitalier régional de Lanaudière du 5 juin au 2 juillet
    Source : syndicat interprofessionnel de Lanaudière
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    Nombre de quarts de travail réalisés en heures supplémentaires aux urgences du Centre hospitalier régional de Lanaudière du 5 juin au 2 juillet
    Source : syndicat interprofessionnel de Lanaudière