Plus isolés, plus vulnérables. Les pères montréalais sont dans une proportion de 30 % plus susceptibles de souffrir de détresse psychologique qu’ailleurs au Québec, montre une étude publiée jeudi. Des expériences traumatisantes plus nombreuses durant l’enfance, une méconnaissance des services d’aide et un manque de confiance en leurs habiletés pourraient expliquer cette tendance.

Une enquête réalisée par la firme SOM auprès de 2119 papas en mars dernier, dont les résultats ont été dévoilés jeudi en marge d’un colloque sur le bien-être des hommes, démontre que 17 % des pères de Montréal présentent un indice de détresse psychologique (IDP) élevé. Dans le reste du Québec, ce chiffre est plutôt de 13 %.

« Ça peut sembler paradoxal à première vue, mais en fait, les pères de Montréal sont beaucoup plus isolés que dans le reste du Québec. À Montréal, il y a beaucoup de pères qui viennent de l’extérieur du pays. Quand ils arrivent ici, leur réseau de solidarité n’est plus là », explique le directeur général du Regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP), Raymond Villeneuve.

Selon l’étude, menée par Carl Lacharité, chercheur et professeur spécialisé en parentalité au département de psychologie de l’UQTR, un père montréalais sur dix a eu des idées suicidaires dans la dernière année, un chiffre encore une fois supérieur à la moyenne québécoise (7 %). Chez les pères présentant un IDP élevé, ce sont 30 % d’entre eux qui ont eu des idées suicidaires.

Des raisons, des solutions ?

Cinq facteurs expliqueraient en particulier ces écarts. D’abord, les pères montréalais « seraient plus nombreux que l’ensemble des pères québécois à avoir expérimenté les formes de violence les plus graves dans l’enfance ».

En effet, 41 % d’entre eux disent avoir subi des agressions psychologiques, contre 36 % dans le reste du Québec. Environ 27 % des pères montréalais disent avoir vécu de la violence physique sévère, contre 20 % au Québec, et 13 % des agressions sexuelles, contre 9 % dans la province.

Près d’un père de la métropole sur cinq (18 %) rapporte aussi être « insatisfait » de sa relation coparentale, contre 13 % au niveau provincial. D’ailleurs, 15 % des pères montréalais disent douter de leurs habiletés parentales, alors que ce chiffre atteint à peine 9 % ailleurs au Québec.

Le rapport note aussi que les pères montréalais connaissent moins les ressources à leur disposition : à peine six sur dix d’entre eux affirment savoir « à qui s’adresser en cas de problème », contre 73 % dans le reste de la province. Moins d’un père québécois présentant un IDP élevé a consulté une ressource d’aide l’an dernier.

Déconstruire le préjugé

« Il y a plein de choses qui ont changé aujourd’hui. Les hommes, de nos jours, s’expriment plus sur leurs émotions, parlent davantage. Mais ce qui n’a pas changé, c’est cette conception qu’être un homme, ça veut dire ne pas avoir besoin d’aide. Pour un homme, même encore aujourd’hui, demander de l’aide, ce n’est pas facile », explique le chercheur Carl Lacharité.

Ce dernier dit vouloir déconstruire le préjugé selon lequel « un homme doit être fort, autonome ». « En fait, c’est un vaste appel à l’empathie à l’égard des pères qu’on lance. Quand on a un père dans notre réseau de collègues, jusqu’à quel point on s’attarde à lui demander comment ça va dans son rôle de père ? Et s’il nous répond que ça va bien, est-ce qu’on lui demande de nous raconter ? Est-ce qu’on va plus loin ? Probablement que si on le faisait, on se rendrait compte que ça ne va pas aussi bien qu’on le pense », insiste M. Lacharité.

Pour Raymond Villeneuve, le coût de la vie plus élevé dans le Grand Montréal est aussi « inévitablement » responsable de cette détresse plus marquée. « Avec l’inflation et le coût du logement en hausse, c’est évident que ça a un lien. Les solutions sont plus compliquées à voir quand tu as moins d’argent », dit-il.

À ses yeux, « il n’y a pas de solution magique ». « Il faut agir à différents niveaux. Le premier, c’est vraiment de rendre visible la détresse des pères, de la nommer, puisqu’au fond, on en parle très peu. Quand on parle des hommes, des pères, on traite beaucoup plus des problématiques que de leurs difficultés. Il faut aussi envoyer le message très clair à ces hommes que c’est correct d’avoir des problèmes, c’est correct de demander de l’aide », conclut M. Villeneuve.