L’industrie privée de la télémédecine au Canada est en pleine effervescence. Ce secteur a connu une croissance fulgurante pendant la pandémie, où certains fournisseurs ont vu leur chiffre d’affaires quintupler en deux ans. L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) craint toutefois que cette hausse ne contribue à la détérioration des services offerts par le système public.

« Ce n’est pas la télémédecine en elle-même qui est préoccupante, parce que ça va permettre d’améliorer l’accès aux services pour bien des gens. Ce qui est préoccupant, c’est vraiment l’industrie privée de la télémédecine », dit d’emblée Anne Plourde, chercheuse à l’IRIS et autrice d’un rapport sur l’industrie privée des soins virtuels qui paraîtra jeudi.

Depuis le début de la pandémie, le secteur privé de la télémédecine a connu une « croissance spectaculaire », dit-elle. À titre d’exemple, les revenus de l’entreprise montréalaise de télémédecine Dialogue Technologies de la Santé inc. sont passés de 3,6 à 20,7 millions de dollars entre le 1er trimestre de 2020 et celui de 2022, une augmentation de plus de 470 % en deux ans.

L’entreprise canadienne WELL Health, quant à elle, a vu ses revenus trimestriels bondir de 7,4 à 126,5 millions de dollars dans les trois dernières années, une croissance de plus de 1600 %.

Perte d’emplois

Cette croissance marquée de l’industrie privée de la télémédecine entraîne une embauche massive et rapide de professionnels de la santé, au détriment du secteur public, soutient Mme Plourde.

Pour être en mesure de donner ces services-là, ce sont des infirmières, des travailleuses sociales et des médecins qui ne sont plus disponibles ou sont moins disponibles pour travailler dans le secteur public.

Anne Plourde, chercheuse à l’IRIS

Bien que le nombre total de professionnels de la santé actuellement employés par les fournisseurs privés de soins virtuels ne soit pas connu, les dépenses en rémunération dans plusieurs entreprises de télémédecine ont crû entre 200 % et 900 % depuis deux ans, révèle le rapport de l’IRIS.

« Cette augmentation montre que ces entreprises sont engagées dans des opérations de recrutement qui risquent de priver le réseau public de ressources professionnelles précieuses », peut-on y lire dans le rapport.

Les plus démunis

Selon Damien Contandriopoulos, professeur à l’École des sciences infirmières de l’Université de Victoria, « l’IRIS a raison d’essayer d’attirer l’attention sur ce secteur ».

Ce qui se passe dans les soins en ligne va potentiellement changer la façon dont on offre des services dans le système public en général.

Damien Contandriopoulos, professeur à l’École des sciences infirmières de l’Université de Victoria

« Je suis plutôt d’accord avec l’argument de dire que plus on va avoir des médecins qui vont décider d’aller pratiquer en ligne, moins on va en avoir dans les cabinets », dit-il.

Par ailleurs, Mme Plourde juge que le secteur privé de la télémédecine « laisse de côté tout un pan de la population », notamment les personnes « les plus vulnérables comme les personnes âgées et les personnes plus défavorisées sur le plan socioéconomique », dit-elle.