Pourquoi y a-t-il plus de psychologues au Québec qu’ailleurs au Canada ?

De tout le Canada, c’est le Québec qui compte le plus grand nombre de psychologues par tranche de 10 000 habitants. Et pourtant, des pénuries importantes touchent le système public – dont les emplois sont moins bien rémunérés – et des rendez-vous sont ponctuellement difficiles à obtenir dans les cabinets privés. Le Québec est-il tout particulièrement friand de psychothérapies ?

Selon l’Ordre des psychologues du Québec, le Québec compte 9,9 psychologues par tranche de 10 000 habitants. Suit l’Alberta, avec 9 psychologues. L’Ontario est loin derrière, avec 3 psychologues.

Mine de rien, il y a ici plus de psychologues qu’à New York (6,8 par tranche de 10 000 habitants), là où « même les psychologues ont des psychologues », prétendait un personnage de Sex and the City.

Le Québec est cependant dépassé par le district de Columbia (Washington, quoi) avec 14,1 psychologues par tranche de 10 000 habitants et, surtout, par l’Argentine, qui arrive en tête de tous les pays à ce chapitre selon l’Organisation mondiale de la santé.

Y a-t-il quelque chose dans l’âme québécoise qui explique la propension des gens à consulter ?

Martin Drapeau, psychologue clinicien et professeur de psychologie à l’Université McGill, relève qu’il faut d’abord constater que malgré ces chiffres, on ne sait rien de ce qui se passe dans les cabinets privés.

Combien de jours par semaine travaillent-ils ? Quelle est la gravité des troubles de leur patientèle ? Quelle est la durée moyenne des thérapies dans le secteur privé ? On l’ignore1.

Ce que l’on sait, par contre, poursuit-il en évoquant un sondage Nanos, c’est que les Québécois font effectivement de plus en plus confiance aux psychologues.

En 2011, 27 % des répondants ont dit que, de tous les professionnels de la santé, c’est aux psychiatres qu’ils faisaient le plus confiance pour un problème de santé mentale. Mais en 2020, les psychologues leur ont dérobé la première place, avec 36 % des répondants les plébiscitant.

Pour soigner une dépression, les psychologues arrivent aussi au premier rang en 2020 des professionnels en qui les répondants ont le plus confiance.

Un filet de sécurité essentiellement pour personnes nanties

Au fil des ans, les psychologues font de plus en plus figure de « première ligne » en santé mentale, souligne M. Drapeau.

Une première ligne pour personnes riches, relève-t-on. « Oui, une personne qui n’a ni assurance ni argent doit attendre dans le secteur public ou aller chez le médecin et obtenir une prescription », répond Martin Drapeau.

Il insiste cependant sur le fait « qu’une personne vraiment en détresse réussira à être référée au bon endroit ».

En entrevue avec La Presse il y a quelques semaines, la Dre Claire Gamache, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, lançait que le gouvernement aurait intérêt à corriger ses messages de prévention qui invitent très largement les Québécois à se tourner vers des psychologues ou des psychiatres. « Il y a plein d’autres choses à faire dans sa vie avant d’aller voir un psy, comme manger correctement, dormir la nuit, faire du sport, participer dans la mesure du possible à des groupes de discussion sur la gestion d’émotions. »

Si l’on entend par là qu’il y a grande nécessité de faire de la prévention pour donner à chacun des outils, la Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues, croit que ce conseil est pertinent. Par contre, une personne qui vit de sérieuses difficultés ou une crise – « et personne n’est à l’abri » – aura besoin d’aide.

Selon la psychologue Rose-Marie Charest, qui a aussi été présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, le nombre de psychologues au Québec est secondaire. Ce qui importe, c’est qu’ils soient en nombre suffisant, ce qui n’est pas le cas dans le secteur public, souligne-t-elle.

Dans toute sa carrière, il n’est arrivé que très rarement que des gens viennent la consulter sans en avoir besoin. « Je me suis bien plus souvent dit que si la personne était allée consulter un an plus tôt, ça aurait été bien plus facile. »

Une recherche de bien-être toute québécoise ?

Chose certaine, comme l’indique la Dre Grou, le recours à un psychologue est de moins en moins stigmatisant au Québec.

Rose-Marie Charest avance pour sa part l’hypothèse qu’il y ait « quelque chose dans notre tempérament, dans notre quête de bonheur, de bien-être » qui explique que de consulter « soit plus proche de notre mentalité ».

Autre possibilité : la grande visibilité des psychologues dans les médias.

L’effet d’entraînement peut aussi entrer en ligne de compte. Dans une étude publiée en 2020, des chercheurs de l’Université d’Ottawa ont établi que les personnes qui connaissaient des proches étant allés se faire soigner pour des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie étaient davantage portées à demander de l’aide.

Les caractéristiques sociales du Québec peuvent-elles expliquer l’inclination de plus en plus naturelle vers les psys ?

Par rapport au reste du Canada, c’est ici que l’on trouve la proportion la plus élevée d’adultes vivant seuls (un sur cinq).

Les Québécois sont aussi les champions de l’union libre et ceux qui, de tous les Canadiens, fréquentent le moins les lieux de culte.

Mais difficile de dire si une personne seule ou qui est divorcée vivra plus de détresse que quelqu’un qui patauge dans un mariage malheureux depuis longtemps.

Tout n’est donc qu’hypothèse, y compris la foi. Rose-Marie Charest souligne que d’un côté, la vie communautaire qui accompagne la spiritualité peut être source de réconfort, mais que certaines croyances religieuses (qui peuvent par exemple mener à de la culpabilité) peuvent être lourdes à porter.

Enfin, Mme Charest souligne que si le Québec a beaucoup de psychologues que l’on peut consulter, les autres provinces canadiennes ont pour leur part un très grand nombre de counsellors (conseillers) scolaires ou matrimoniaux.

1. Les chiffres transmis à notre demande par l’Ordre des psychologues du Québec ne permettent pas de savoir clairement à quel point le travail à temps partiel est répandu ou pas.

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    Nombre de professionnels qui sont membres de l’Ordre des psychologues du Québec
    Source : Ordre des psychologues du Québec