(Québec) Au moment où les deux fédérations médicales fustigent sa réforme, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a conclu une entente avec l’une d’elles, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), pour accélérer le rattrapage des interventions chirurgicales.

Cet accord, dont La Presse a révélé les principaux détails mercredi, a un objectif principal : ramener le nombre de patients en attente d’une intervention chirurgicale depuis plus d’un an au niveau d’avant la pandémie, c’est-à-dire 2500, d’ici le 31 décembre 2024. Il y en avait 17 512 au 31 mars dernier.

Il y a un an, Christian Dubé disait qu’il allait retrouver le taux prépandémique dès ce printemps, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’entente avec la FMSQ vise à atteindre la cible une fois pour toutes à la fin de l’an prochain.

« La pandémie a entraîné beaucoup de retard dans les chirurgies, on en parle souvent. C’est une question qui nous préoccupe beaucoup et […] si on veut que [le rattrapage fonctionne], il faut faire conjointement avec les spécialistes », a fait valoir le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui était accompagné mercredi du président de la FMSQ, le DVincent Oliva.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Christian Dubé

L’annonce s’est tenue en l’absence de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), dont les membres auront un rôle à jouer dans le plan de rattrapage. À l’instar du DOliva, qui participait mardi à Québec à la consultation parlementaire sur la réforme du ministre en santé, la présidente de la FIQ, Julie Bouchard, sera à l’Assemblée nationale mercredi.

L’entente entre Québec et la FMSQ prévoit d’optimiser l’utilisation des blocs opératoires, notamment en accordant des primes au personnel qui accepte de faire des heures supplémentaire sur une base volontaire pour les quarts de travail du soir, de la fin de semaine et lors des jours fériés.

« Ça fait plusieurs mois qu’on travaille sur un tel plan », a soutenu de son côté le DOliva. « C’est un exercice de mobilisation médicale assez complexe dans lequel les associations concernées ont embarqué assez spontanément, ce qui nous montre leur appétit de traiter leurs patients, parce qu’évidemment, avec des listes d’attente vient une lourdeur. Tout le monde a cette pression-là », a-t-il ajouté.

Environ 400 millions de dollars seront investis pour réaliser le rattrapage. La somme provient d’économies dégagées par l’Institut de la pertinence des actes médicaux, organisme créé en 2020 pour éliminer des actes médicaux inappropriés ou inutiles. Pour les opérations, le financement se fera à même l’enveloppe de rémunération des spécialistes qui n’a pas été complètement utilisée en raison de la pandémie.

Pour s’assurer que la cible soit atteinte au 31 décembre 2024, chaque établissement de santé – les CISSS et les CIUSSS – aura un objectif à respecter et devra se doter d’un plan d’action. Une cible intermédiaire sera également fixée pour chacun. Pour tout le Québec, ce sera de ramener à 7600 au 31 mars 2024 le nombre de patients en attente depuis plus d’un an.

Québec met l’accent sur les opérations « hors délais » et ne se fixe pas de cible globale pour les opérations en attente. Pour l’heure, quelque 158 000 Québécois se trouvent sur une liste d’attente pour passer sous le bistouri. Il n’y a pas non plus de cibles par spécialité.

« Tous les médecins sont inquiets »

L’entente survient alors que les médecins, dont la FMSQ, reprochent au ministre Christian Dubé de les écarter des lieux décisionnels en « centralisant » les pouvoirs dans sa vaste réforme en santé. Ils craignent qu’une approche « coercitive » entraîne un exode vers le privé.

Mardi, la FMSQ, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et le Collège des médecins ont tous affirmé que le projet de loi 15, qui vise à rendre plus efficace le réseau de la santé et des services sociaux, semble vouloir « diluer » leurs voix et même « évacuer » les médecins des rôles décisionnels des établissements de santé.

Au centre de leurs griefs : la diminution du poids des conseils des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) dans l’organisation des soins et la « disparition » de la cogestion médicale.

« Quand on regarde le projet de loi, le principe de cogestion disparaît dans les niveaux hiérarchiques supérieurs et c’est une erreur. Notre réseau peut compter sur d’excellents gestionnaires, mais ils ont besoin d’un contrepoids médical », a déploré le président de la FMSQ, le DVincent Oliva.

La FMSQ a dit « comprendre la direction » que souhaite prendre le ministre Dubé dans sa réforme, mais qu’il existe « un décalage » entre sa vision et le texte législatif.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de la FMSQ, le DVincent Oliva

Les médecins seront sous-représentés dans les instances où les décisions entraînent des répercussions importantes pour les patients.

Le DVincent Oliva, président de la FMSQ

Les deux fédérations, tout comme le Collège des médecins – un ordre professionnel –, demandent au ministre Christian Dubé de reculer au sujet des CMDP. Ceux-ci doivent conserver leurs responsabilités actuelles, ont-ils affirmé lors des consultations en commission parlementaire.

« Tous les médecins sont inquiets de ça », a lancé le président de la FMOQ, le DMarc-André Amyot. Ce dernier y est d’ailleurs allé d’une charge à fond de train contre le projet de loi du ministre qui risque « d’aggraver » la pénurie d’omnipraticiens. Selon lui, le texte législatif semble avoir été rédigé « par des fonctionnaires » et ne tient pas compte de la réalité des médecins omnipraticiens.

Christian Dubé s’est dit « étonné » des propos du DAmyot, répliquant que le mémoire de la FMOQ avait l’air d’avoir été écrit par « des avocats ».

Éloigner les médecins du pouvoir

À l’heure actuelle, les CMDP disposent d’un accès direct aux PDG des établissements de santé pour les conseiller sur l’organisation des soins cliniques. Ils peuvent aussi avoir un rôle de « chien de garde » pour s’assurer que les décisions administratives respectent les besoins des patients, a expliqué le DOliva.

Avec la réforme, les CMDP relèveraient du directeur médical et du conseil interdisciplinaire de l’établissement, ce qui vient « éloigner les médecins sur le terrain » de la haute direction.

C’est d’ailleurs ce directeur médical (une fonction créée dans la réforme) qui aurait le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pour tout manquement commis par un professionnel, dont les médecins. Les fédérations s’opposent farouchement à ce que cette fonction, qui pour l’heure relève des CMDP, soit confiée au futur directeur médical d’un établissement.

La FMOQ a en ce sens accusé le ministre d’utiliser une approche « coercitive » plutôt que collaborative. Le syndicat des omnipraticiens a parlé d’une réforme « autoritaire » et « centralisatrice ».

De son côté, le Collège des médecins estime que le projet de loi, en matière de gouvernance clinique, « concentre les pouvoirs entre les mains d’un groupe restreint de gestionnaires, entraînant un risque réel de décision arbitraire » puisque « les mêmes personnes seront responsables à la fois d’octroyer les privilèges et de déterminer les sanctions » des médecins.

C’est aussi le directeur médical qui pourra décider de l’utilisation des ressources allouées au département clinique. On sait que Québec a dans sa ligne de mire de lier le permis de pratique des médecins spécialistes à la réalisation « d’activités médicales particulières », comme l’obligation de faire des gardes. À ce sujet, la FMSQ a adouci le ton et se dit prête à collaborer avec le ministre.

Dubé reste ferme

En commission parlementaire, le ministre Christian Dubé ne s’est pas prononcé spécifiquement sur les demandes visant les CMDP. En mêlée de presse, il a cependant fait valoir qu’il n’allait pas « changer pour changer » son projet de loi. « Est-ce que ça veut dire que juste les CMDP ne veulent pas changer [et que] tous les autres doivent changer ? », a-t-il demandé.

Je vais changer [mon projet de loi] si je vois que ça améliore la relation avec le patient.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Le ministre s’est par ailleurs défendu de vouloir diminuer la voix des médecins. « Ça vient me titiller un peu quand vous me dites que vous avez l’impression qu’on enlève la voix aux médecins », a rétorqué le ministre Dubé en réponse au Collège des médecins. « Est-ce que c’est parce qu’on donne la voix à d’autres professionnels ? », a poursuivi le ministre.

Le Collège a rappelé qu’il appuie un partage des responsabilités entre tous les professionnels du réseau, mais que, selon lui, le projet de loi ne met pas assez l’accent sur la cogestion clinique et administrative.

Les consultations sur le projet de loi 15 reprennent mardi.